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Collection Réciprocité, n° 7, France, 2017.

En espagnol dans Teoría de la Reciprocidad (tome 2), La Paz, Tari plural editores, 2003.

1. La réciprocité de vengeance. Commentaire critique de quelques théories de la vengeance

2. La réciprocité négative interprétée comme un échange

Dominique Temple | 2003

La réciprocité négative se réduit-elle à un échange ou peut-elle être le siège de la fonction symbolique ?

Les travaux rassemblés par Raymond Verdier [1] mettent en évidence que presque toutes sinon toutes les sociétés humaines ont tenté d’appréhender la vengeance, de la maîtriser, de la contrôler, enfin de l’assujettir au principe de réciprocité, mais leurs auteurs imaginent aussi, et le plus souvent de façon explicite, que la raison de toute forme de réciprocité serait de satisfaire l’échange, en conformité avec la thèse de Lévi-Strauss.

La plupart des auteurs estiment que chaque groupe humain possède une identité imaginaire qui se compte en capital-vie « capital spirituel et social que les membres du groupe ont charge de défendre et faire fructifier » [2]. La vengeance protègerait ce capital. Verdier observe que les observations de I. de Garine [3] chez les Massa et les Moussey du Tchad et du Cameroun soutiennent cette opinion [4].

Observons d’abord que le devoir de vengeance au-dehors est la contrepartie de l’interdit de vengeance au-dedans ; devoir et interdit expriment « les deux faces, externe et interne de la solidarité » ; on ne peut se venger sur ceux que l’on a précisément le devoir de venger. La vengeance ne doit pas rompre l’unité du groupe qu’elle est appelée à promouvoir et préserver vis-à-vis de l’extérieur. Sous peine d’éclatement, le groupe ne peut que prohiber la vengeance en son sein.

« Cette solidarité caractéristique des groupes vindicatoires répond à une double exigence : l’obligation de vengeance au plan extérieur, l’interdit de vengeance au plan intérieur ; obligation et interdit sont les deux faces externe et interne de la solidarité ; ils sont l’envers et l’endroit d’un même principe qui définit à la fois l’espace en deçà duquel on ne doit pas (se) venger et celui au-delà duquel on a le devoir de (se) venger. La règle est double, positive au dehors, négative au-dedans, obligation et interdit font couple. Ces deux faces de la solidarité vindicatoire correspondent à la double protection, extérieure et intérieure du capital-vie du groupe » [5].

Mais avant que le mariage n’ait transformé l’autre en parent, celui-ci est l’ennemi potentiel tout autant que le parent potentiel ; l’adversité est la même chose que l’altérité ; elle n’est pas donnée comme le sort de qui n’est pas l’élu de l’alliance, elle est un préalable, comme est un préalable l’équilibre entre exogamie et endogamie vraie pour définir la possibilité de l’alliance.

Igor de Garine précise en effet :

« L’ambiguïté des relations avec les alliés est constante. Les beaux-parents – des non-parents par définition puisqu’on peut épouser une de leurs filles – sont en quelque sorte, à la génération d’Ego, des “ennemis apprivoisés”. À la génération suivante, ils sont devenus de tendres parents maternels avec lesquels les rivalités et les conflits d’autorité ne sauraient se produire alors qu’ils constituent la trame des rapports entre paternels. Comme l’explicitent les chefs de terre à l’occasion de leurs invocations publiques – bolla – : “Nous sommes fils de tel ancêtre. Les habitants de tels villages et quartiers, nous ne les épousons pas, ils sont fils du même ancêtre. Mais les autres clans voisins, nous leur faisons la guerre et nous les épousons !” » [6].

Pour C. H. Breteau et N. Zagnoli [7] qui étudient “La violence en Calabre et dans le Nord-Est Constantinois” :

« Ainsi l’honneur peut s’analyser comme un capital symbolique : dans la mesure où tout homme possède par définition de l’honneur, et qu’en même temps l’honneur est susceptible de varier, on peut parler d’un capital fixe et d’un capital variable, pour continuer la métaphore économique [8].
 
La vengeance capitalise l’honneur car sans affront à réparer, on ne peut administrer la preuve de sa vraie valeur, authentifier l’honneur dont tout homme dispose par “nature” (capital fixe) » [9].

J. Chelhod [10] dans “Equilibre et parité dans la vengeance du sang chez les Bédouins de Jordanie”, observe :

« Dans la société bédouine, le volume du groupe est parmi les éléments dont elle tire fierté. Ayant perdu l’un des siens, le clan se sent amoindri et, par conséquent, déshonoré. Pour rétablir l’ordre perturbé par le crime, il appartient à l’un des siens, en l’occurrence le vengeur, d’infliger une perte égale au groupe antagoniste. Enfin, la notion d’équilibre se double d’une autre : celle de parité : entre la personne qu’on venge et celle dont on se venge, il faut qu’il y ait équivalence à la fois sociale et biologique » [11].

Les Ossètes du centre du Caucase, selon A. Itéanu [12], préservent un capital d’honneur qui se compte en vies d’hommes tués par l’ennemi et vengées . Tant que les victimes ne sont pas vengées, elles ne sont pas comptées dans le capital-vie de la communauté. L’honneur ne peut être restauré que par la vengeance. Prendre une vie ennemie, c’est donc restaurer une vie imaginaire dans son propre univers mythique. L’identité collective idéale serait donnée par un équilibre entre les morts, dont on a la mémoire parce que vengés, et les naissances dont on peut prévoir l’avènement : “Qui as-tu tué pour demander la main de ma fille” ?

« Le meurtre est la première étape obligatoire du destin de l’homme (…) Il est suivi par le mariage qui donne le droit de construire sa propre habitation au sein du feu, de percevoir une part des revenus communs, de participer aux décisions collectives, et ouvre la voie à une autre étape qui est la naissance d’enfants » [13].

Commentant le travail d’Itéanu, Verdier écrit :

« Chez les Ossètes, la question rituelle posée par le beau-père à son futur gendre (…) met bien en évidence à la fois l’obligation du meurtre et sa fonction intégratrice dans la société (en particulier en tant qu’il est la condition du mariage).
 
On saisit alors toute la signification et le rôle de la vengeance : il s’agit bien d’abord et avant tout de protéger le capital-vie du groupe… » [14].

À moins qu’il ne s’agisse d’engendrer des guerriers et que le mariage ne soit inféodé à la vengeance ! L’argument de Verdier est réversible : quiconque ne se définit pas en fonction de la réciprocité de vengeance serait exclu du groupe social. La cohésion, l’alliance, la parenté et surtout le mariage et la procréation se trouveraient alors inféodés à la réciprocité négative ou encore serviraient à l’équilibrer en vue d’une relativisation des imaginaires de la violence et de l’alliance.

Pour Verdier, la réciprocité de vengeance serait ordonnée à l’équilibre nécessaire aux intérêts des uns et des autres. Interprétée comme échange, la vengeance pose pourtant un problème difficile. Qu’échange-t-on à coups de destructions ou de meurtres ? L’échange apparaît pour le moins négatif puisqu’il se solde par une soustraction symétrique de biens ou de vies humaines ! Quel peut être l’intérêt d’un échange négatif ?

Selon Verdier, les communautés s’équilibrent entre elles, et cet équilibre est une condition de prospérité pour toutes. S’il est rompu, les communautés tentent de le rétablir. À toute agression qui détruit une part de la communauté répond une vengeance qui empêche que l’agresseur puisse se prévaloir d’une situation favorable et préjudiciable aux autres. Il s’agirait de rétablir un équilibre positif.

Pour J. Svenbro [15], “l’équilibre par soustraction” cacherait un avantage pour celui qui subit le meurtre. L’appel à la vengeance lui permettrait, en effet, de consolider ses liens d’alliance et de solidarité et de re-dynamiser sa force vitale. Le meurtre d’une communauté sur une autre serait un véritable don puisqu’il permettrait à celle-ci de renforcer sa puissance. Mais un tel “don du meurtre” [16] serait en fait “intéressé” : il serait calculé par l’agresseur de sorte que la communauté victime, en se vengeant, lui permette d’en appeler à son tour à la vengeance et donc de re-dynamiser son groupe… Le don du meurtre retrouverait la justification que prêtent au don les théories de l’échange : il serait le masque de l’intérêt. Comme ces communautés n’ont aucune idée d’un calcul aussi retors, il faut admettre qu’un démon, identique à “la main invisible” d’Adam Smith, tienne les rênes de la vengeance !

Les thèses de Verdier et de Svenbro soutiennent que la vengeance est un instrument subordonné à la solidarité interne du groupe. Et puisque le groupe recourt à la vengeance, soit pour inciter (Svenbro) soit pour dissuader (Verdier) autrui d’agresser le capital-vie du groupe, il est logique qu’il interdise que la vengeance puisse le diviser lui-même. Verdier constate que dans de nombreuses sociétés, la vengeance est en effet prohibée entre les membres d’une même parenté. La vengeance à l’extérieur a donc pour autre face la solidarité à l’intérieur du groupe.

Verdier insiste sur ce “biface” : « solidarité interne–vengeance externe ». De la même façon, Lévi-Strauss couplait la prohibition de l’inceste et l’exogamie, et considérait la première comme la face interne de la seconde. On peut dire complémentaires ces deux perceptions inversées de la même réalité : ce qui est prohibé est prohibé parce qu’il est “l’opposé” de ce qui est ordonné, et réciproquement.

L’idée que la vengeance ait pour rôle principal de protéger l’identité du groupe et qu’elle soit subordonnée à la cohésion de la parenté se heurte néanmoins à d’autres observations. Chez les “Jivaros”, par exemple, selon Harner [17], une âme de guerrier est une âme de meurtre qui exige immédiatement de passer à l’acte. Les Jivaros partent donc en expédition meurtrière. Et s’ils ne rencontrent pas l’ennemi désigné, ou que celui-ci, sur ses gardes, déjoue leur attaque, les guerriers doivent si impérieusement tuer (sous peine de mourir, précisent-ils, car leur âme a commencé de les quitter dès qu’ils ont pris la décision du meurtre) qu’ils exécutent quiconque sera rencontré sur le chemin du retour, y compris un de leurs alliés ou un membre de leur parenté, voire un partenaire de l’expédition elle-même. L’interdit, si interdit il y avait, serait donc violé.

Lévi-Strauss observait que les Dobu s’unissent pour faire face au clan opposé lors d’un mariage entre clans, mais qu’ils se divisent pour se faire face lorsque le mariage a lieu dans le même clan [18]. De même, les Jivaros se vengent sur l’ennemi s’il existe et, sinon, se divisent pour qu’il existe. Où il n’y a pas de réciprocité, alors il faut la fonder.

On retrouve ici le même principe que Lévi-Strauss a établi pour les structures élémentaires de la parenté. Les mêmes femmes, montrait-il à propos de la coutume du kopara chez les indigènes du Sud de l’Australie, sœurs ou filles qui ont été prises ou acquises par l’étranger, peuvent être reçues et épousées par ceux qui les ont d’abord perdues ou données du moment où elles ont acquis un statut d’altérité. C’est parce que la femme est “autre” qu’elle peut devenir épouse. Sans cette condition, elle ne peut entrer dans une relation matrimoniale ou une alliance qui soit génératrice d’un nom d’humanité. Ce n’est pas un caractère inné de la sœur ou de la fille d’autrui qui lui confère une prééminence mais qu’elle soit le signe de l’altérité dans une structure de réciprocité :

« Pas plus que la moitié, la femme, qui tient d’elle son état civil, n’a de caractère spécifique ou individuel – ancêtre totémique, ou origine du sang qui circule dans ses veines – qui la rende objectivement impropre au commerce avec les hommes portant le même nom. L’unique raison est qu’elle est même, alors qu’elle doit (et donc peut) devenir autre. Et sitôt devenue autre (par son attribution aux hommes de la moitié opposée), elle se trouve apte à jouer, vis-à-vis des hommes de sa moitié, le même rôle qui fut d’abord le sien auprès de leurs partenaires. Dans les fêtes de nourriture, les présents qui s’échangent peuvent être les mêmes ; dans la coutume du “kopara”, les femmes rendues en échange peuvent être les mêmes que celles qui furent primitivement offertes. Il ne faut, aux uns et aux autres que le signe de l’altérité, qui est la conséquence d’une certaine position dans une structure, et non d’un caractère inné » [19].

De la même façon rien, semble-t-il, ne peut prévaloir chez les Jivaros sur la nécessité de la réciprocité de vengeance. Ce n’est pas la qualité d’agresseur ou quelque autre qualité intrinsèque qui désigne quelqu’un à la vengeance mais la nécessité de la réciprocité. Le cycle de la vengeance a une force propre qui donne aux groupes ou familles qu’il relie une identité supérieure à celle de leur naissance et qui impose sa loi jusqu’à l’intérieur de la parenté, qui donne même sa “puissance d’être” (kakarma) à chaque guerrier pris individuellement. Celui-ci reconquiert une âme lorsqu’il supporte un meurtre ennemi dans sa famille et il perd son âme lorsqu’il tue un ennemi, soit le contraire de ce que l’on attendrait à partir des thèses de l’échange (récupérer une âme par le meurtre). L’obligation de vengeance, la nécessité du meurtre, renvoie donc à une loi supérieure à celle de la solidarité d’alliance ou de parenté.

A. Itéanu, qui étudie la vengeance chez les Ossètes, disait :

« Le meurtre est la première forme d’accession à la relation entre son groupe et les autres. Le meurtrier expérimente la possibilité d’engager son groupe vis-à-vis de l’extérieur. Pour lui, le monde clos du groupe se transforme en un espace à plusieurs groupes dotés de règles auxquelles il a prouvé son adhésion par son action même. (…) Ce n’est qu’au prix d’une ouverture de compte avec l’extérieur et en acceptant les modalités de cet engagement qu’il accède au temps et à l’espace social » [20].

La vengeance sans doute peut servir à protéger ou renforcer l’alliance mais, dans ce cas, elle n’a nul besoin de se soumettre à la réciprocité. Selon nous la vengeance circonscrit un autre espace-temps que celui de l’alliance dès lors qu’elle obéit à la réciprocité. Les relations d’alliance engendrent une identité dite du groupe et les relations de vengeance engendrent une identité que l’on pourrait dire inter-groupes. Nous devons envisager le système vindicatoire comme un système de réciprocité en lui-même comme s’il constituait en soi une matrice, indépendamment de toute fonction qui l’enchaînerait a priori à un autre système, et nous devons envisager le rapport entre le système vindicatoire et le système d’alliance comme une alternative.

Verdier propose cependant de précieuses distinctions qui peuvent être interprétées en faveur de notre hypothèse : il définit en effet en des termes nouveaux la relation d’adversité et la relation d’hostilité.

« Il y a d’abord une distance sociale propre aux partenaires de la vengeance, qui permutent leurs rôles actif et passif ; nous l’avons appelée relation d’adversité et distinguée d’une part de la relation d’identité, d’autre part de celle d’hostilité. À ces trois relations correspondent trois modes de violence qui, du proche au lointain, s’ordonnent ainsi :
Figure 1
Figure 1
Tableau des types de relations et modes de violence.

(Cf. VERDIER, Raymond. “Le système vindicatoire”, dans La vengeance. Paris : Cujas, 1981, vol. 1, p. 34.)

Une relation de proximité où la vengeance est interdite, une relation d’éloignement où la vengeance est inefficace mais où la guerre prend le relais, et une distance intermédiaire où elle est prééminente [21].

La relation d’adversité, interdite avec les proches mais également interdite avec les inconnus, est réservée à ceux qui sont à la fois identiques et différents :

« Se situant à mi-chemin entre la relation d’identité et de différence absolue, la relation vindicatoire est essentiellement une relation d’adversité liant des partenaires qui se reconnaissent à la fois comme identiques et différents » [22].

Et cet espace relationnel est, dit-il, celui de la reconnaissance de l’autre. Cet espace de reconnaissance de l’autre est donc celui où des forces “contradictoires” (identité et différence) sont très précisément en équilibre. Verdier conceptualise ce champ “contradictoire” comme espace “intermédiaire” et définit cet “espace intermédiaire”, qu’il appelle aussi “distance sociale”, avec précision :

« Cette distance sociale qui situe les partenaires, ni dans un espace trop proche (celui des parents), ni dans un espace trop lointain (celui des ennemis), mais dans un espace médian, celui du face à face, où l’on se reconnaît dans le regard de l’autre » [23].

Mais dans le système de l’alliance, ou plus généralement de la réciprocité positive aussi, comme l’ont souligné de très nombreux auteurs, la reconnaissance d’autrui suppose une relation d’équilibre de forces “contradictoires” : l’identité et la différence, l’homogénéité et l’hétérogénéité, l’opposition et l’union. On ne rappellera ici que la définition des organisations dualistes par Lévi-Strauss :

« Ce terme définit un système dans lequel les membres de la communauté – tribu ou village – sont répartis en deux divisions, qui entretiennent des relations complexes allant de l’hostilité déclarée à une intimité très étroite, et où diverses formes de rivalité et de coopération se trouvent habituellement associées » [24].

Nous proposons de nommer le principe de cet équilibre entre forces antagonistes en nous référant aux thèses de S. Lupasco : « principe du contradictoire »  (lire la définition)  [25].

La réciprocité, du moins à ses origines, implique autrui dans un équilibre “contradictoire”.

Certes, Lévi-Strauss insiste davantage sur l’altérité que sur l’équilibre contradictoire. Pour s’opposer à l’idéologie dominante à l’époque où il écrivait Les structures élémentaires de la parenté, idéologie selon laquelle l’identité de parenté aurait été un capital qu’il eût fallu transmettre par la filiation (le mariage devenant le moyen de cette transmission entre apparentés), Lévi-Strauss s’est attaché à montrer que c’est l’altérité qui est au principe de l’union matrimoniale. La thèse de Lévi-Strauss, c’est le primat de l’autre sur le même.

Toutefois, ce primat de la différence sur l’identité n’est pas sans limites : l’autre n’est pas l’étranger absolu, l’inconnu. L’altérité n’est pas une indifférence radicale, une étrangeté infinie. Lévi-Strauss appelle “endogamie vraie” le refus de reconnaître le mariage hors des limites de la communauté humaine. Mais toutes les sociétés primitives se proclament : “Nous, les Vrais Hommes”. La prohibition de l’inceste, la prohibition du même, est certes l’autre face de la nécessité de l’altérité, mais d’une altérité circonscrite par une identité de groupe (endogamie vraie). L’altérité lévi-straussienne est relative, elle est équilibrée par l’endogamie vraie.

Il suffit de situer l’équilibre entre la force centrifuge de l’exogamie et la force centripète de l’endogamie vraie pour retrouver la distance privilégiée de la reconnaissance de l’autre qui répond au “principe du contradictoire” de la réciprocité.

Le triptyque constitué par :

1) l’inconnu (étranger à la sphère définie par l’endogamie vraie),

2) le même (l’identité frappée de prohibition),

3) l’intermédiaire (où se pratique la réciprocité d’alliance), est analogue au triptyque de Verdier.

La relation d’altérité lévi-straussienne est la même chose que la relation d’adversité de Verdier. Les systèmes de réciprocité de la vengeance et de l’alliance nous paraissent ainsi équivalents pour faire apparaître un même principe fondamental : “le principe du contradictoire” comme la raison de la réciprocité.

Polarisée par la bienveillance, la réciprocité d’origine devient la dialectique du don, et l’équilibre du contradictoire se trouve rétabli par la violence sous la forme de la compétition entre les dons. C’est pourquoi Mauss parlait de don agonistique. Cette violence, l’agôn, peut être considérée comme la négation motrice de la dialectique, comme le propose J.-L. Boilleau [26]. Polarisée au contraire par la violence, la réciprocité devient la dialectique de la vengeance  (lire la définition) et l’équilibre du contradictoire est rétabli par le fait que la violence n’est exercée que vis-à-vis de ceux qui sont reconnus comme d’une humanité supérieure ou encore de son rang. L’équilibre du contradictoire ne cesse ainsi d’être reproduit à chaque nouveau cycle de la réciprocité de façon plus ample ou plus intense. La polarité dialectique s’interprète dès lors comme le moteur de cet accroissement. Pour l’étude de ces dialectiques de la vengeance et du don, je renvoie à notre livre : La réciprocité et la naissance des valeurs humaines (1995).

La raison de la réciprocité de vengeance, comme celle de la réciprocité d’alliance ou du don, est bien plus qu’un lien social, bien plus que la conscience d’appartenir à une même communauté, mais le sentiment même d’être humain. La réciprocité de vengeance est, comme la réciprocité du don, une structure source de l’être parlant.

La réciprocité peut se construire par la vie, l’alliance ou le don, mais elle peut aussi se construire par la mort et le meurtre. Ce n’est donc pas le don qui est au fondement de la société mais la réciprocité. Lorsqu’elle ne pourra se réaliser par l’alliance ou le don, la réciprocité se réalisera autrement et quel qu’en soit le prix. L’homme choisit de mourir par celui-là qu’il peut nommer son ennemi, plutôt que de retourner au néant. Plutôt être par la mort que de vivre sans être, plutôt la mort de la main d’autrui que de vivre sans recevoir de lui la révélation d’être humain.

La thèse de R. Verdier : la réciprocité négative interprétée comme un échange avec les Dieux

Marcel Mauss concluait, à propos du potlatch, que les donateurs s’affrontent chacun désirant surpasser l’autre dans la prétention de lui être supérieur, mais en s’obligeant pour cela à recevoir le contre-don.

De la même façon, R. Verdier estime que la violence est organisée pour définir une hiérarchie :

« (…) la règle de réciprocité est une donnée fondamentale du système vindicatoire, en tant qu’elle permet aux groupes de se définir les uns par rapport aux autres en termes de complémentarité antagoniste et d’équilibre dynamique : dans le jeu réglé du système vindicatoire, les groupes s’affrontent en cherchant à surpasser l’autre mais non à le détruire ; chacun tend à montrer sa supériorité mais non à réduire à néant son adversaire » [27].

Cette conception est donc parallèle à celle de Mauss pour les dons, mais elle est différente de celle que Mauss proposait de la vengeance elle-même. Pour Mauss, en effet, le don se métamorphoserait en obligation de vengeance dans le cas où le donataire ne restituerait pas au donateur de contre partie qui témoigne de son respect pour le prestige de celui-ci. Mauss ne concevait donc pas la réciprocité négative  (lire la définition) .

Mauss considère que le don est porteur du mana du donateur. Verdier part certes de la même idée et considère le mana comme un capital :

« (…) bien de tous les membres, présents, passés et à venir, ce capital doit être préservé contre toute atteinte, externe ou interne, physique ou morale, qu’il s’agisse d’honneur bafoué ou de sang versé. Toute injure à ce capital-vie, quand elle provient d’une agression extérieure, est un dommage subi par tout le groupe et déclenche sa réaction vindicatoire ; quand elle émane d’un de ses membres, elle est transgression de la loi et encourt sa sanction, pénale ou sacrificielle : peine et sacrifice sont les seules réponses licites à l’offense à l’intérieur du groupe, où le meurtre est interdit et où l’on ne doit pas se venger sur ceux que l’on a le devoir de venger » [28].

Verdier définit donc une “distance sociale” propre à la vengeance. Toutefois, cette distance n’est conçue que comme l’envers de la reconnaissance sociale produite par la réciprocité positive :

« Mais il est par contre possible, au moins d’une façon générale, de repérer globalement les actes appelant vengeance, en tant qu’ils tendent précisément à méconnaître cette distance sociale qui permet aux groupes d’affirmer leur identité et de ce fait les oblige à réagir pour la faire respecter » [29].

La distance sociale de Verdier ressemble à celle du rossignol mâle vis-à-vis d’un autre mâle, distance qui se mesure selon les décibels que chacun perçoit de l’autre, une proclamation affirmée et menaçante.

Que la réciprocité ne soit plus qu’une résultante de cette manifestation de l’identité du groupe, Verdier l’affirme clairement :

« Pour que le système puisse fonctionner “normalement”, il faut que le pouvoir politique soit structuré de telle sorte que les groupes vindicatoires puissent constituer à la fois des entités propres ayant une certaine permanence et stabilité, et des unités sociales de force relativement égale. C’est seulement quand ces conditions sont remplies que la règle de réciprocité peut effectivement s’appliquer et que le système vindicatoire peut rééquilibrer les forces en présence » [30].

Mais comment les sociétés humaines éparses sur la terre se constitueraient en groupes de force égale ayant une identité propre et permanente ? Quelle argumentation pourrait être avancée pour justifier une telle hypothèse ? Aucun des auteurs de La Vengeance n’apporte ici la moindre contribution. Le postulat d’une société primitive constituée de groupes de forces égales dotés d’une identité propre et pérenne est une hypothèse ad hoc.

La thèse de l’échange ne contraint pas seulement à imaginer des conditions idoines pour justifier la vengeance mais aussi pour expliquer deux autres sortes de violence concurrentes de la vengeance : la sanction et le sacrifice. Si l’agresseur d’une communauté est un membre de la communauté, la vengeance est en effet remplacée par l’une de deux autres solutions, la première pénale, la seconde sacrificielle.

Pour Verdier, les trois réponses possibles à l’agression, vengeance proprement dite, châtiment et sacrifice doivent évidemment s’interpréter comme des échanges [31]. La difficulté est plus grande pour le sacrifice. Le réduire à un échange oblige, en effet, à concevoir un partenaire virtuel : les Dieux.

Cette solution est cependant la même que celle qu’imaginait Mauss pour le potlatch : lorsque le donateur vainqueur de la joute des dons ne connaît plus de rival et qu’il ne peut plus développer sa puissance faute de donataire capable de relancer le cycle du don, il semble qu’il ne donne plus que pour “être socialement” et qu’il ne distribue sa fortune que pour le prestige, de façon ostentatoire, pour montrer sa puissance, dit Mauss. Mais voilà ! dans le potlatch, le donateur vainqueur des joutes ne donne pas une partie de ses biens pour montrer sa puissance, mais il donne tous ses biens ! Mauss, alors, suggère que le donateur parie sur la reconnaissance des esprits ou des Dieux. Mauss évoque les esprits des ancêtres pour expliquer que le sacrifice final n’est pas gratuit, qu’il est la prolongation du potlatch mais avec les Dieux. Le don apparemment gratuit serait en fait une fois de plus calculé car il serait adressé aux Dieux dans l’espoir d’une contrepartie supérieure. Le prestige ne serait qu’une monnaie qui attendrait d’être réalisée par les Dieux.

Mauss soutient que les donateurs espèrent donc recevoir plus qu’ils ne donnent. (Lorsque Mauss constatait que dans le potlatch, le dernier donateur donne en vain puisque nul ne saurait lui répondre, il imaginait, pour satisfaire l’idée que le don est bien un échange, que le donateur n’acquiert un prestige insurpassable que pour être désigné comme interlocuteur privilégié des Dieux. Le sacrifice, dit Mauss, est un don aux esprits des ancêtres et aux Dieux dont on attend en retour de plus grandes largesses). Cette conception échangiste du sacrifice a été reprise récemment par Sahlins qui voit dans le sacrifice des Maori un échange avec les Dieux ; échange dont il fait le paradigme des échanges entre les hommes [32].

Mais si les Dieux donnent pour la gloire et sans esprit de lucre, pourquoi les hommes n’en feraient-ils pas autant dans l’espoir d’être comme les Dieux ? Ne serait-ce pas pour le bonheur d’être reconnus par les Dieux comme des hommes “larges et puissants” ou pour être élevés au rang des Dieux que les hommes se tournent vers eux et leur offrent des sacrifices [33]. Et si les hommes abusaient des Dieux en essayant de leurs soustraire de grands biens avec des présents de qualité inférieure, les Dieux ne seraient-ils pas assez intelligents pour découvrir la supercherie ?

Verdier cependant reprend le raisonnement de Mauss et l’applique à la vengeance. Il réfute d’abord l’idée d’un échange directement utilitaire :

« Analyser le processus de la vengeance en termes d’opération comptable pourrait donner à penser que l’on est en face d’une transaction commerciale, d’un échange marchand. Il est certain que le marchandage auquel peut donner lieu la composition, là où elle existe, pourrait suggérer cette interprétation et que la vengeance peut devenir un moyen d’acquérir richesse et pouvoir mais il convient d’y voir alors une déviation du système vindicatoire. S’il s’agit bien d’une dette à payer, il ne s’agit, ni d’un paiement ni d’une dette au sens marchand » [34].

L’échange serait donc celui du capital-vie du groupe mais dans la représentation qu’il s’en fait et davantage construit par son imaginaire que par des contraintes ou nécessités d’ordre matériel. Comme Mauss et Lévi-Strauss à propos des dons réciproques, Verdier récuse l’échange économique au profit de l’échange symbolique :

« Qu’il s’agisse de vengeance, de peine ou de sacrifice expiatoire, dans les trois cas, une victime est réclamée, soit par le vengeur au nom de la solidarité d’un groupe face à un autre, soit par l’accusateur au nom de la société, soit enfin par les Dieux au nom d’une loi “sacrée” » [35].

Néanmoins, il définit la vengeance comme un échange :

« Au plan de la communication sociale, la vengeance est un rapport d’échange bilatéral résultant de la réversion de l’offense et de la permutation des rôles de l’offenseur et de l’offensé » [36].
 
« Nous sommes ainsi conduits à étudier la vengeance comme système – ou sous-système – à la fois d’échange et de contrôle social de la violence » [37].

Mauss ramenait le capital-vie du groupe au prestige, à la renommée, au mana du groupe, Verdier le ramène à l’honneur, autre expression du même mana [38].

Pour Verdier, la vengeance est attachée tout autant que le don à l’identité du groupe. De même que le don est don d’une part de mana de la communauté, la vengeance est récupération d’une part de mana pour la communauté. Ainsi, lorsqu’un crime est perpétré vis-à-vis de la communauté par l’un de ses membres, il ne paraît pas nécessaire de retrancher la vie de l’agresseur. La vengeance rencontre en effet une limite : aucun des membres de la communauté ne peut en être retranché sans grave dommage pour le capital-vie du groupe. L’on choisirait dès lors d’immoler un animal à la place du coupable afin de pouvoir réintégrer celui-ci dans la communauté.

Mais si un tel sacrifice est un échange de victimes, à qui sacrifier l’animal ? Aux Dieux ! répond Verdier. Les Dieux ont été offensés par les vivants, et comme ils sont les protecteurs jaloux de l’intégrité du groupe, les vivants se doivent de les dédommager. La difficulté de cette thèse est que l’on définit les Dieux de façon à répondre à la question que l’on vient de poser. Comme précédemment avec l’identité et l’égalité des groupes, on propose ici une hypothèse ad hoc [39].

Il reste aussi à préciser comment l’identité spirituelle du groupe se constitue. L’honneur dont les Dieux sont si jaloux est un capital symbolique dont on ignore toujours l’origine. D’où vient cette identité mystique et d’où sortent les Dieux ? Deux énigmes !

Lire la suite : 3. Le principe d’union et le principe d’opposition dans la réciprocité de vengeance.

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Pour citer ce texte :

Dominique Temple, "La réciprocité négative interprétée comme un échange", La réciprocité de vengeance. Commentaire critique de quelques théories de la vengeance, 2003, http://dominique.temple.free.fr/reciprocite.php, (consulté le 19 mars 2024).

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Notes

[1] VERDIER, Raymond (éd.), 4 volumes, La vengeance. Études d’ethnologie, d’histoire et de philosophie. Paris : éditions Cujas, 1981-1984 :
- Vol. 1 “Vengeance et pouvoir dans quelques sociétés extra-occidentales”. Textes réunis et présentés par Raymond Verdier, 1981.
- Vol. 2 “Vengeance et pouvoir dans quelques sociétés extra-occidentales”. Textes réunis et présentés par Raymond Verdier, 1986.
- Vol. 3 “Vengeance, pouvoirs et idéologies dans quelques civilisations de l’Antiquité”. Textes réunis et présentés par Raymond Verdier - Jean-Pierre Poly, 1984.
- Vol. 4 “La vengeance dans la pensée occidentale”. Textes réunis et présentés par Gérard Courtois, 1984.

[2] VERDIER, Raymond. “Le système vindicatoire”, dans La vengeance, op. cit., vol. 1 (pp. 13-42), p. 19.

[3] GARINE, Igor (de) “Les étrangers, la vengeance et les parents chez les Massa et les Moussey”, dans La vengeance, op. cit., vol. 1, pp. 91-124.

[4] « L’exercice de la vengeance définit un domaine intermédiaire entre l’homologie due à la parenté ou à la proche commensalité, lesquelles excluent théoriquement la vengeance sanglante, et celui où les ennemis sont si hétérogènes qu’ils se situent au-delà d’un cercle où l’on recherche la responsabilité. On n’exercera pas de vengeance vis-à-vis d’une bannière baguirmienne ou d’un établissement foulbé, dont il est aussi normal qu’ils manifestent leur brutalité vis-à-vis des non-islamisés qu’il est naturel à un chat de tuer des souris ou à une hyène de se repaître de chiens. Inversement, il est invraisemblable d’exercer une vengeance sanglante vis-à-vis d’individus avec lesquels on se trouve apparenté, tant en ligne paternelle – les jaftusina, qu’en ligne maternelle – les dosianu. Ces deux catégories constituant les “su golla” (les parents) d’un individu, on ne peut faire couler leur sang. Ils lui sont liés par l’exogamie, la communauté des prestations matrimoniales, les cérémonies funéraires et justement l’alliance totale en cas de conflit grave. (…)

La distinction est plus apparente chez les Massa que chez les Moussey car ils disposent de deux techniques pour régler leurs conflits : le combat au bâton (zugulla), qui est autorisé entre membres d’un même clan et n’entraîne pas de sanction grave ou de vengeance s’il est suivi de blessure ou d’accident, mais donne lieu à une simple réparation, le combat à la sagaie (kawina), avec la mort par le fer (mat kawayna) qui verse le sang et engendre la vengeance et l’exercice de la loi du talion sur la parenté tout entière du meurtrier. Plus exactement, l’usage du fer contre un parent apparaît comme un crime inexpiable. » GARINE, Igor (de) “Les étrangers, la vengeance et les parents chez les Massa et les Moussey”, dans La Vengeance, op. cit., vol. 1, pp. 100-101.

[5] VERDIER, Raymond. “Le système vindicatoire”, dans La vengeance, op. cit., vol. 1, p. 35.

[6] GARINE, Igor (de) “Les étrangers, la vengeance et les parents chez les Massa et les Moussey”, dans La Vengeance, op. cit., vol. 1, pp. 101-102.

[7] BRETEAU, Claude H. & Nello ZAGNOLI, “Le système de gestion de la violence dans deux communautés rurales méditerranéennes : la Calabre méridionale et le N.-E. Constantinois”, dans La vengeance, op. cit., vol. 1, pp. 43-73.

[8] Ibid., p. 47.

[9] Ibid., p. 49.

[10] CHELHOD, Joseph. “Equilibre et parité dans La vengeance du sang chez les Bédouins de Jordanie”, dans La vengeance, op. cit., vol. 1, pp. 125-144.

[11] Ibid., p. 126.

[12] ITÉANU, André. “Qui as-tu tué pour demander la main de ma fille ? Violence et mariage chez les Ossètes”, dans La vengeance, op. cit., vol. 2, pp. 61-82.

[13] Ibid., p. 72.

[14] VERDIER, R. “Le système vindicatoire”, dans La vengeance, op. cit., vol. 1, pp. 19-20.

[15] SVENBRO, Jesper. “Vengeance et société en Grèce archaïque. À propos de la fin de l’Odyssée”, dans La vengeance, op. cit., vol. 3, pp. 47-63.

[16] Cf. SVENBRO, J., op. cit., p. 55.

[17] HARNER, Michael J. The Jivaros (1972). Trad. franç. : Les Jivaros. Paris : Payot, 1977.

[18] « Chaque fois qu’il s’agissait de conclure un mariage au dehors, les deux moitiés oubliaient leur division et collaboraient, chacune travaillant au succès des entreprises de l’autre, en mettant tous leurs biens en commun ; par contre, elles continuaient à partager, pour échanger ensuite entre elles leurs parts respectives, quand le mariage avait lieu à l’intérieur du village. On voit ainsi se dégager sur un plan purement empirique les notions d’opposition et de corrélation dont le couple fondamental définit le principe dualiste, qui n’est lui-même qu’une modalité du principe de réciprocité. » LÉVI-STRAUSS, C. Les structures élémentaires de la parenté. Paris : Mouton (1947), 1967, p. 97.

[19] LÉVI-STRAUSS, C. Les structures élémentaires de la parenté, op. cit. p. 133.

[20] ITÉANU, A. “Qui as-tu tué pour demander la main de ma fille ? Violence et mariage chez les Ossètes”, dans La vengeance, op. cit., vol. 2, p. 73.

[21] « Le système vindicatoire circonscrit un certain espace social à l’intérieur duquel s’exerce la vengeance et au-delà duquel elle fait place à l’hostilité et à la guerre : comme il y a un lieu où la vengeance est interdite à cause de la distance trop proche des partenaires, il y a un autre lieu où elle cesse de jouer par suite de la trop grande distance sociale entre eux. (…) Alors que, dans le premier cas, l’identité des partenaires s’oppose à la vengeance, leur différence, dans le second, conduit de la vengeance à la guerre. Autrement dit la vengeance s’inscrit dans un espace social intermédiaire entre celui où la proximité des partenaires l’interdit et celui où leur éloignement substitue la guerre à la vengeance. » VERDIER, R. “Le système vindicatoire”, dans La vengeance, op. cit., vol. 1, p. 24.

[22] Ibid., p. 25.

[23] VERDIER, Raymond. “Une justice sans passion, une justice sans bourreau”, dans La vengeance, op. cit., vol. 3, p. 151.

[24] LÉVI-STRAUSS, C. Les structures élémentaires de la parenté, op. cit., p. 80.

[25] LUPASCO, Stéphane. Le Principe d’Antagonisme et la Logique de l’énergie. Paris : Hermann, 1951.

[26] BOILLEAU, Jean-Luc. Conflit et lien social. La rivalité contre la domination. Paris : La Découverte/Mauss, 1995.

[27] VERDIER, R. “Le système vindicatoire”, dans La vengeance, op. cit., vol. 1, p. 30.

[28] Ibid., p. 35.

[29] Ibid., pp. 18-19.

[30] Ibid., p. 30. Verdier ne donne pas d’indications sur les conditions qu’il subsume sous le pouvoir politique. Plusieurs thèses pourraient être invoquées. Celle de Sahlins, par exemple, qui propose l’idée d’un mode de production domestique dans lequel l’intérêt collectif d’une famille étendue justifierait le don généralisé entre ses membres, lequel don s’opposerait à ce que les intérêts individuels ne deviennent le moteur d’une production compétitive. Les familles s’endormiraient dans l’oisiveté et ne se réveilleraient que lorsqu’elles seraient menacées par d’autres familles du même type qui voudraient s’approprier leur territoire. Une autre thèse voudrait que l’équilibre d’une communauté et du milieu dans un contexte donné atteigne un seuil de rentabilité optimum à partir duquel il serait plus économique pour la communauté de se diviser plutôt que de s’agrandir.

[31] Pour Verdier : « Le vocabulaire de la vengeance va dans le sens de cette interprétation ; il met en évidence le fait qu’il s’agit d’une dette à payer ou plus exactement qu’il s’agit d’un dû que l’un des partenaires est tenu d’acquitter, l’autre d’exiger. » Ibid., p. 17.

La dette n’est peut être pas toujours cette contrainte, elle peut signifier au contraire l’obligation faite au puissant d’être et de demeurer donateur afin que le lien social ne puisse être rompu. Dans ce cas, la dette n’est pas faite pour être payée mais pour ne pas l’être.

[32] SAHLINS, Marshal. Âge de pierre, âge d’abondance. Paris : Gallimard (1972), 1976.

[33] Cf. TEMPLE, D. & M. CHABAL, La réciprocité et la naissance des valeurs humaines. Paris : L’Harmattan, 1995.

[34] VERDIER, R. “Le système vindicatoire”, dans La vengeance, op. cit., vol. 1, p. 18.

[35] Ibid., p. 35.

[36] Ibid., p. 14.

[37] Ibid., p. 16.

[38] Cette distinction entre sang et honneur pourrait introduire la thèse de Florestan Fernándes selon laquelle il est nécessaire d’imaginer deux entités surnaturelles, l’unité mystique du groupe et l’empyrée des victimes attendant que les vivants les vengent. Deux entités ordonnant deux types de communication ; l’une communion religieuse entre les vivants et les morts, l’autre dialogue magique entre les défunts et leurs vengeurs les premiers communiquant leur puissance aux seconds pour qu’ils détruisent l’obstacle qui les empêche de revenir au sein de leur communauté. Cf. FERNÁNDES, Florestan. A função social da guerra na sociedade Tupinambá. São Paulo : Livraria Pioneira Editora, Univ. de São Paulo, 1970.

[39] Verdier interprète le sacrifice comme un échange avec les Dieux, et dès lors l’échange, disparu d’entre les hommes, est retrouvé. Les Dieux apparaissent pour donner un point d’appui à la notion d’échange.