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Idéologie marxiste et Théorie moderne de la réciprocité. Critique des thèses de Alvaro Garcia Linera

4. Des communautés de chasseurs aux communautés d’agriculteurs

Dominique Temple | 2010

Résumé :
Le biomarxisme soutient que les communautés sont fondées par l’organisation complémentaire des forces productives pour faire face à la nécessité. Les observations de Marshall Sahlins permettent d’en excepter les communautés de chasseurs-cueilleurs.
 
García Linera tente de refonder la thèse de la “nécessité” comme cause de la solidarité organique chez les communautés agricoles. Pourtant, celles-ci sont aussi des sociétés d’abondance.
 
Par ailleurs, la réciprocité négative démontre que partout où sévit le manque des ressources, la nécessité ne conduit pas à des relations de complémentarité entre forces productives.
  
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Álvaro García Linera [1] précise que dans ce qu’il appelle le Procès de Travail Immédiat (sans médiation) (le PTI) :

« Il n’y a pas de séparation entre le processus de travail et le produit du travail, l’aboutissement de l’un est l’obtention de l’autre, et puisque l’objectif social du processus de production n’est que la reproduction du producteur et des membres qui lui sont liés, la réalisation de l’utilité du produit, de sa valeur d’usage, est également immédiate [2]. »

Il soutient que dans les communautés agricoles archaïques, consommation et production seraient liées l’une à l’autre sans hiatus par le PTI et la complémentarité des diverses fonctions de la vie d’une Totalité dont chaque producteur-consommateur ferait intégralement partie. Cette Totalité satisferait naturellement les besoins de tous mais ne permettrait à personne de dissocier la production et la consommation. Ainsi, il n’y aurait pas d’espace possible pour que le travail se présente sous une forme autonome, c’est-à-dire comme valeur, et donc pas de possibilité d’accumulation de la valeur et pas de propension à la production sans limites de cette valeur.

La complémentarité immédiate de la consommation et de la production serait confortée par l’écosystème chaque fois que les relations de la nature et de la vie sociale trouveraient un équilibre harmonieux. La société tendrait à la reproduction de l’équilibre écologique et développerait différentes fonctions de reproduction et de pérennisation de son unité organique. Les fonctions des uns ou des autres, des hommes comme protecteurs, des femmes comme reproductrices, seraient ordonnées à cette reproduction de la Totalité. Or, les observations de l’anthropologie des communautés de chasseurs-pêcheurs-cueilleurs nomades ont montré, contrairement au postulat d’une nécessité qui les contraindrait à s’organiser pour surmonter des conditions d’existence difficiles, qu’elles ne sont tributaires d’aucune contrainte.

García Linera en a pris acte en résumant ainsi les conclusions de Marshall Sahlins :

« Selon des données fournies par Sahlins, en utilisant des paramètres contemporains de quantification du travail par le temps qui, ne l’oublions pas, ont une importance sociale radicalement différente de celle à laquelle nous sommes habitués de nos jours, la moyenne des heures de travail des individus adultes de ces chasseurs-cueilleurs étudiés par l’anthropologie durant les 200 dernières années est de trois à cinq heures quotidiennes ou deux jours et demi par semaine, 6 heures par jour, y compris la préparation du repas et la réparation des outils. Ces trois à cinq heures de travail quotidiennes sont en plus capables de subvenir à quatre personnes avec une consommation énergétique de 2.200 calories, ce qu’aujourd’hui même de nombreux peuples enchaînés à la “modernité” ne peuvent obtenir qu’au moyen d’autres activités productives qui occupent beaucoup plus d’heures de travail. Cette “productivité” élevée […], place les individus de la collectivité, d’une part, devant l’obtention d’un temps libre abondant dont ils disposent non seulement pour effectuer des activités récréatives, de fête ou de repos, mais qui en outre est postulé comme richesse sociale spécifique [3]. »

Soulignons l’avertissement : « en utilisant des paramètres contemporains de quantification du travail par le temps qui, ne l’oublions pas, ont une importance sociale radicalement différente de celle à laquelle nous sommes habitués de nos jours ». Il nous faut donc nous méfier de la dichotomie entre temps de travail libre et temps de travail nécessaire, dichotomie qui induit l’idée que le temps de travail “nécessaire” est consacré à des contraintes physiologiques, et le temps “libre” à la création artistique, récréative ou festive.

Cette distinction n’existe pas ou peu si elle existe dans les communautés. Le temps de travail consacré aux contraintes biologiques est intégré dans la réciprocité créatrice de valeurs éthiques. Par exemple, le travail de la chasse est toujours ludique et même donne lieu à des compétitions sportives. Chez les Shuar, il est conjoint aux amours. Enfin, le produit de la chasse est soumis à la redistribution collective ou au partage, qui est aussi un temps de récréation festive. La notion de société d’abondance ne signifie pas que le temps de travail pour assurer la survie biologique est limité à quelques trois ou quatre heures de travail quotidien, mais que le travail pénible est transformé en travail festif. L’absence d’une contrainte qui souderait entre eux les individus d’une communauté de chasseurs-cueilleurs en une Totalité occupée à la reproduction de son équilibre ne signifie pas que la communauté disposerait d’un temps libre, mais qu’il n’existe aucun temps qui ne soit utilisé hors du cadre de la réciprocité. Dit autrement, le temps consacré à la nécessité de se nourrir ou de se reproduire est intégré dans le temps de production de la conscience éthique parce que rien n’échappe à la réciprocité.

Les prestations totales des sociétés dites archaïques sont des relations de réciprocité totale. Comme l’a démontré Marcel Mauss [4], tout y est assumé en termes de réciprocité, et tout ce qui est en dehors de la réciprocité n’est pas humain parce qu’impossible à concevoir et perdu dans le non-sens du chaos originel.

Jadis, on expliquait que la détresse (présumée) des communautés était due à l’inefficacité de leurs techniques primitives et que cette détresse les conduisait à piller leurs voisins. Pour parer au pillage, chacune aurait inventé la guerre préventive, et la menace de la guerre généralisée aurait été surmontée par la raison et l’échange : l’échange serait une guerre pacifiée. Or, les observations de Sahlins ont disqualifié ce postulat intellectuel. Si l’on veut continuer à l’utiliser, il faut en excepter les chasseurs-cueilleurs.

Pour expliquer que le postulat de la détresse originelle ne fonctionne pas pour les communautés de chasseurs-cueilleurs, García Linera suggère que l’efficacité des techniques des chasseurs-cueilleurs favorisait : « un profond détachement envers les autres par rapport aux moyens matériels possédés, en commençant par les propres instruments de travail [5]. »

Il pense que les chasseurs-cueilleurs disposaient de techniques largement suffisantes pour leur assurer une autonomie qui les dispensait de s’associer en une Totalité organisée. Il peut ainsi imaginer que les autres communautés (sédentaires) ont été confrontées à la détresse et obligées à unir leurs forces productives de façon complémentaire. Mais, d’abord, les faits confirment-ils cet axiome du « profond détachement envers les autres par rapport aux moyens matériels possédés, en commençant par les propres instruments de travail » ?

Si les instruments de travail des chasseurs-cueilleurs sont effectivement personnels, ils n’en sont pas moins voués à une production destinée à autrui. La possession des instruments de travail est certes indiscutable mais la possession personnelle des instruments de travail dans une communauté de chasseurs a pour raison d’assurer le droit de chacun de satisfaire les besoins d’autrui, raison sans laquelle il n’y aurait pas de “vivre ensemble”. L’arc, par exemple, fait partie du chasseur et ne se transmet que de père en fils, d’oncle à neveu, mais parce qu’il sert à tuer du gibier pour autrui ! Du moment qu’il est nécessaire de partager le gibier avec autrui, l’arc est une possession personnelle inaliénable parce que son usage est lié à une fonction sociale.

Si la possession de l’arc est sacrée, c’est parce que nul ne peut priver autrui du moyen de produire pour autrui. Dans de nombreuses communautés, le chasseur n’a même pas le droit de consommer le gibier qu’il a tué et ne peut se nourrir que du gibier d’autres chasseurs. Chez les Enawenê Nawê du Brésil, les nasses sont construites pour pêcher des poissons pour autrui. Elles sont personnelles afin que chacun puisse offrir des poissons aux autres, et après leur usage, elles doivent être détruites et ne peuvent donc servir à personne à titre privé. Chez les Inuit du Groenland, où le partage et la répartition de la viande et du poisson expriment et soutiennent les relations sociales, l’homme-chasseur est appelé « pourvoyeur [6] »…

Pour les communautés de chasseurs-cueilleurs-pêcheurs-recollecteurs nomades, l’interdit de l’inceste vaut pour la nourriture.

Les communautés de chasseurs-cueilleurs-pêcheurs- recollecteurs nomades ne sont pas unies par un usage collectif ou encore par des outils qui puissent s’aliéner par échange, contrairement à ce qu’imaginait Adam Smith. Que l’outil soit inaliénable et qu’il fasse corps avec son utilisateur ne signifie pas la primauté d’un intérêt propre ou exclusif. Bien au contraire, l’outil est inaliénable parce qu’il ne peut être retiré d’un usage qui s’inscrit dans une relation de réciprocité. Il faut, ici, faire intervenir non pas les catégories de privatisation et collectivisation mais celle de réciprocité, et à celle d’usage, il faut ajouter celle de fonction sociale. Autrement dit, l’usage ne peut être inféodé à la privatisation car il l’est à la fonction sociale déterminée par la réciprocité.

Les communautés de recollecteurs-chasseurs-cueilleurs ne peuvent faire dépendre leur existence humaine d’aucune autre source que la réitération constante des structures de production des valeurs qui les fondent comme humaines. Le “nous les vrais hommes”, le “nous les hommes vivants”, le “nous les hommes bons”, le “nous les grands hommes”, etc., signifie “nous voici les hommes différents des animaux parce que nous nous référons au sens qui se crée entre nous, à la révélation de la conscience qui prend siège en chacun de nous à l’occasion de nos relations de réciprocité”. Le but de l’anthropologie sociale est de déterminer quelles sont les relations qui sont le “siège”, comme disent les Guarani, de l’avènement de la conscience.

L’obligation de reproduire la matrice de réciprocité n’impose cependant aucun cadre prédéterminé, d’où la mobilité et l’autonomie des uns et des autres dans les communautés nomades : si la cueillette n’a procuré que des haricots rouges, chacun s’assure seulement que ses proches en sont pourvus, mais que le chasseur rapporte un tapir, non seulement la famille mais tout le voisinage est invité au partage et à la fête. Il s’ensuit une flexibilité de la frontière communautaire. Cette souplesse masque le fait que l’obligation de réciprocité est si forte qu’il ne peut apparaître de frontière entre communautés, bien qu’elles soient autonomes, dans la mesure où elles reproduisent les mêmes structures de réciprocité. En réalité, la réciprocité est partout fonction des moyens disponibles.

Le mode de production communautaire des chasseurs-cueilleurs est très éloigné d’un mode de production déterminé par la complémentarité de la production et de la consommation pour satisfaire des besoins matériels. Ces besoins existent, certes, et la complémentarité des activités également, mais tout est inséré dans la réciprocité parce que dans les communautés humaines l’on ne peut vivre qu’à la condition de vivre humainement.

Ce n’est pas seulement le mythe ou le rituel qui témoigne de cette emprise de la valeur éthique sur les comportements mais la vie réelle. Que fait-elle du temps, la communauté “primitive” ? Elle prie, répondrait un humoriste, mais il ne serait pas très éloigné d’une réalité qui paraît étrange à la société occidentale : elle s’invente comme “spirituelle” par la danse, le chant, le jeu, la poésie et le travail, le travail ludique et festif.

Récemment, la rencontre des Enawenê-Nawê au Brésil [7] a révélé une société qui passe plus de la moitié de son temps en danses et chants. Leur vie spirituelle est engendrée par une organisation sociale où le principe de réciprocité est omniprésent. La pêche est le moyen de subsistance principal et elle est pratiquée comme un rituel qui célèbre la fondation et l’évolution de la société. Chaque année, une “moitié” de la communauté va construire un barrage sur le fleuve où elle installe des nasses grâce auxquelles elle capture d’importantes quantités de poissons qui sont ensuite mis à sécher. Les enfants de chaque pêcheur sont chargés d’offrir un poisson à chacun des autres pêcheurs jusqu’à ce que tous aient été attribués. Chaque pêcheur reçoit donc un poisson des autres membres de la communauté. À quoi sert de donner à chacun un poisson puisque tout le monde en a, et pourquoi donner un poisson puisque pour chaque poisson donné on en reçoit un autre ? [8].

La réciprocité dans le réel est immédiatement objectivée en un rituel. Le rituel de la réciprocité est l’apprentissage du langage (ici les noms des donataires et donateurs). Les enfants apprennent à reconnaître le nom de chacun des membres de la communauté. Le rituel est au moins destiné à l’enseignement des enfants. La réciprocité des dons donne sens au nom de ceux qui y participent. Et lorsque la communauté a pêché assez de poisson pour un an de consommation, elle retourne au village. Le rituel continue : avant d’arriver au village, les pêcheurs se déguisent en esprits de la forêt qui sont connus comme des esprits de vengeance. Pourquoi ? Le mythe raconte que le premier fils du premier Enawenê-Nawê était allé à la rivière se baigner, qu’il fut enlevé, noyé et dévoré par un grand poisson. Depuis ce jour, les Enawenê-Nawê sont habilités à la réciprocité de vengeance et à prélever des poissons dans la rivière. Dès lors que les hommes sont doués d’un esprit de vengeance, ils se définissent par les noms de la réciprocité négative  (lire la définition) . L’activité prédatrice de l’homme sur la nature est donc interprétée comme réciprocité négative. C’est pourquoi les pêcheurs se cachent sous des masques de feuillage et se présentent à leurs parents restés au village comme des esprits de vengeance. Surprise, l’autre “moitié” se précipite sur les lances et un combat fictif s’engage, immédiatement rompu par l’offre de poissons par les uns et de bière de manioc par les autres, le manioc qui a été cultivé par la “moitié” restée au village. Les Enawenê-Nawê célèbrent ainsi le passage de la réciprocité négative à la réciprocité positive [9]. Les deux moitiés se réunissent et le village connaît plusieurs mois de festivités, de danses, de chants ininterrompus, sacrés et profanes. Chaque jour, une famille offrira le repas commun à toutes les autres. Réciprocité, encore. Deux mois ont suffi pour préparer dans un travail ludique et sportif la réserve de nourriture pour un an. Que vont faire de l’autre temps les membres de cette communauté ? Ils vont fabriquer des parures, danser et chanter, construire des malocas (grandes maisons communautaires) neuves : ce seront là leurs occupations principales.

Que l’on s’informe auprès des Mapuche, des Shipibo, des Guarani, des Cashinawa ou des Yanesha… toutes les communautés de chasseurs-cueilleurs d’Amérique s’organisent selon de semblables critères où le travail pour la consommation biologique est non seulement réduit à fort peu de temps mais encore transformé en pratique ludique et transsubstantialisé en fonction symbolique.

La reproduction sociale dans les communautés agricoles

Pour opposer le système capitaliste au système communautaire, García Linera insiste sur cette idée que le système capitaliste se développe à partir d’une scission entre la consommation et la production. Cette séparation permettrait de conférer aux choses une valeur d’échange grâce à laquelle il serait possible de mesurer le pouvoir de chacun vis-à-vis d’autrui, tandis que dans la communauté la production serait consommée sur le champ et la consommation obligerait immédiatement à la reproduction de la production en un cycle sans hiatus. Lorsque échange il y aurait, il serait ordonné à la reproduction immédiate de la complémentarité des diverses activités d’une Totalité qui ne laisserait subsister aucun écart entre ses diverses parties et entre leurs fonctions.

Nous avons vu qu’il faut retrancher d’un tel système les communautés de chasseurs-cueilleurs puisque l’observation anthropologique a réfuté l’idée a priori que ces communautés vivraient sous l’emprise de la nécessité. Elles vivent au contraire dans l’abondance, et l’expression la plus remarquable de leur économie est la gratuité. Dès lors, comment justifier le postulat de la nécessité pour expliquer la cohésion communautaire et comment expliquer que la production soit tout entière absorbée par la consommation ou, plus précisément, comment redonner à la nécessité la fonction de souder consommation et production afin d’opposer le mode de production de la communauté à celui du système capitaliste ?

Le raisonnement de García Linera est le suivant : l’agriculture aurait permis la concentration humaine sur un territoire écologiquement défini [10]. Les difficultés qui mettraient en péril la pérennisation de l’équilibre optimum de la communauté conduiraient à articuler les rapports de production entre eux pour qu’ils forment des systèmes productifs plus efficaces, et la réponse préventive à une défaillance éventuelle du système déterminerait la solidarité de la communauté. Cette solidarité, Linera la conçoit comme une homogénéité, qui ne saurait être mieux assurée que par le lien de parenté réalisé par la consanguinité, le lignage de parenté [11].

« La communauté consanguine, l’unité de parenté, apparaît alors comme la première et la plus solide réponse sociale aux nouvelles nécessités matérielles qui soutiennent les nouvelles conditions de travail. (…)
La communauté de parenté est donc une relation sociale construite à partir d’une détermination naturelle, la consanguinité, qui est mise, qui est posée comme forme sociale unificatrice de l’appartenance de l’individualité à la communauté et à sa logique organisationnelle et productive, à l’entrelacs technique qui la précède et l’utilise (l’individualité). La parenté comme relation sociale visible et décisionnelle de la communauté ne doit pas nous faire oublier que son importance classificatoire est déterminée par la forme spécifique de la réalité matérielle du PTI, et qu’elle est une modalité particulière dans laquelle l’unité sociale recouvre cette forme matérielle pour lui donner sa continuité historique [12]. »

García Linera heurte de front le principe de réciprocité qui fonde toute société à tous les niveaux de son existence sur l’altérité et non pas l’identité. Les communautés andines, par exemple, sont structurées par la réciprocité de parenté, puis elles font appel à des relations qui reproduisent avec plus d’ampleur leur système de parenté : le “parrainage” (compadrazgo). Ensuite, elles libèrent les prestations économiques de ce langage de parenté et elles inventent le marché ou la redistribution. Mais, en aucun cas, elles ne s’enferment dans l’identité par la consanguinité du lignage.

Pour défendre l’idée que la consanguinité est le ciment originel de la communauté, García Linera fait appel à la définition de l’ayllu :

« Selon Bertonio [13], ayllu en aymara se disait aussi hata, qui veut dire semence, et généralement a la signification de lignée, de consanguinité [14]. »

Il appuie cette référence d’une sentence d’un auteur français, O. Dollfus, qui fait de l’ayllu une espèce de parenté définie par « un lignage provenant d’un fondateur commun », ce qui signifie qu’il confond parenté et lignage…

Mais Ludovico Bertonio cite un auteur autochtone nommé Guamán Poma de Ayala, qui précise :

« Le beau-frère, ils l’appellent maza et le beau-frère on l’appelait macaca autrefois (…), le parrain du baptême, on l’appelle uayno, les hommes apparentés, ils les appellent uauquicona et les femmes panicota (…) ces “compadres” aidaient dans le travail et dans d’autres nécessités et quand ils sont malades et pour le boire et le manger et pour la fête et au cimetière et lors des décès pour pleurer et après la mort et pendant tout le temps de leur vie [15]. »

C’est l’autre, le lignage opposé, le beau-frère, le parrain ou le compadre… c’est l’autre qui garantit la relation de réciprocité dans le travail (« ayudaban en el trabajar ») et non pas pour des raisons matérielles et intéressées, mais pour élaborer la signification de tout événement : la naissance, le mariage, la mort, l’amour. L’“autre” est la “prohibition” de la consanguinité. Et comme si cette énumération ne suffisait pas pour dire que la communauté (l’ayllu) est fondée par l’alliance et non pas la consanguinité, l’auteur ajoute :« Et ensuite, leurs fils et descendants, petits-fils et arrières petits-fils servaient et gardaient l’ancienne loi de dieu [16]. »

Comment dire les choses avec plus de clarté, de concision et d’évidence ! La loi “divine” est l’alliance parce que l’alliance est la matrice du “divin”.

Quant au terme semilla (semence), il s’entend chez Bertonio par référence à la Parole d’union exprimée par la tradition féminine concurremment à la Parole d’opposition exprimée par la tradition masculine. C’est le même Bertonio, selon Verónica Cereceda [17], qui observe en effet que si les hommes ont une conception par moitiés de leur communauté, les femmes la dépeignent par leur unité avec les images de sac, ventre et semence pour dire non pas un lignage mais la réunion de deux lignages et sa fécondité ; le signe de cette union, c’est évidemment la semence [18].

Chaque lignage garde la Loi dans sa représentation parce que toute représentation est non-contradictoire et forcément la propriété de chacun. Mais chacune de ces représentations est relative à celle d’autrui, car on ne peut être que le parrain du filleul, l’oncle du neveu, le beau-frère du frère, etc. Le langage, qui n’a de sens que pour tous, entraîne que tous ceux qui parlent la même langue nouent entre eux des relations qui sont obligatoirement réciproques. Il suffit cependant de détruire la relation de réciprocité, qui est la clé de voûte de toute architecture sociale, entre le frère et le beau-frère par exemple dans un système de parenté, pour que ne restent plus en présence les unes des autres que des généalogies réduites à l’état de hordes. Le mot horde prend alors le sens d’une fratrie issue d’une même souche génétique, le sens de clone, celui de l’identité collective, du faisceau fasciste ou de la section d’assaut national-socialiste. Lorsque l’on détruit l’arche du pont, il reste les piliers du pont qui ne permettent plus de traverser la rivière ; lorsque l’on détruit le faîte d’un toit, il reste les murs de la bâtisse inutiles pour abriter l’humanité. Ce n’est pas en vain que les Kanak comparent la réciprocité à l’aiguille dont le va-et-vient coud les feuilles de palmes d’un seul toit, « une seule Parole », disent-ils, un seul sens pour les deux parties du toit ! [19]

Et quel est le but que poursuit inlassablement le système capitaliste ? Détruire la réciprocité pour soumettre les individus à leurs intérêts privés et réduire les familles à des lignées de parenté généalogiques, comme au Rwanda aujourd’hui [20], qui n’ont plus d’autre repère que la prétendue transmission génétique de leur identité : le sang devient alors le symbole du clan et de la race, et la race le principe que l’on oppose à l’esprit.

García Linera donne pour origine du développement de l’économie précapitaliste les communautés agraires. Et pour expliquer l’unité organique de ces communautés, il invoque la complémentarité des forces productives, surdéterminées par la nature des terroirs. Ainsi, l’appropriation de la terre deviendrait selon lui une composante essentielle du PTI. Le fait que la terre devienne un objet de propriété usufruitière obligerait les membres de la communauté à la complémentarité de leurs productions. La terre deviendrait un facteur essentiel de la transformation de la communauté en unité de production collective.

« Comme l’a indiqué Meillassoux, l’agriculture étant une production à rendement différé, les membres qui collaborent dans le champ, qui sèment ou s’associent pour la possession de la terre, ont objectivement “des intérêts à rester ensemble pour profiter de leur travail commun” qui émerge dans la récolte [21]. »

La raison de l’agriculture est sans doute de produire l’excédent de la richesse dans des proportions telles qu’elle anticipe les aléas de l’accident : il n’y a pas d’agriculture sans grenier. Mais est-ce la seule raison ?

Désormais, les hommes instituent la réciprocité de façon à pouvoir partager de façon permanente le fruit de leur production qu’ils dominent par le travail, et non plus de façon plus ou moins aléatoire selon les caprices de la nature. Les Enawenê-Nawê nous ont déjà avertis : c’est à la nature qu’il leur faut prendre des poissons. Eh bien, puisqu’il s’agit de prendre, ils interprètent la pêche en termes de réciprocité négative, mais ensuite la réciprocité négative est relayée par la réciprocité positive : on offre les poissons à autrui. Mais jusque-là, la nature est reine. Et c’est alors l’agriculture (la culture du manioc) qui permet que l’homme domine la nature. La réciprocité positive succède à la réciprocité négative comme chez les Cashinawa [22] ou chez les Shuar.

Mais pourquoi la réciprocité positive prend-elle presque toujours le relais de la réciprocité négative ? Un mythe Yanesha (Pérou) raconte qu’une femme demanda à un oiseau de la transporter au pays des morts pour rejoindre son mari tué dans la réciprocité de vengeance. Elle y rencontre les victimes des raids de vengeance qui festoient avec leur sang fermenté dans des jarres de céramique : ils dansent au son des flûtes de Pan. La fermentation signifie le passage d’un produit naturel à un produit obtenu par l’industrie humaine. Le mythe dit que l’on peut échapper à la nature en construisant soi-même les conditions de la réciprocité hors de la nature. La femme accompagnée d’un enfant dérobe une jarre (l’art de la poterie), et l’enfant dérobe la flûte dont le son issu d’un souffle humain me semble signifier la Parole pour appeler autrui à la réciprocité d’alliance. C’est dire que la société a découvert l’artisanat (la poterie), qu’elle a découvert l’agriculture (le manioc), qu’elle peut cultiver le manioc à une fin artisanale (faire fermenter le jus du manioc et le transformer en vin), et que désormais le son des flûtes de l’enfant appellera à la fête de la réciprocité [23]. La réciprocité devient une entreprise exclusivement humaine. Elle ne dépend plus des occasions offertes par la nature. Elle est voulue par l’homme et construite par le travail. La réciprocité primordiale est renvoyée au souvenir de l’Eden.

Les Shuar racontent cette émancipation de l’homme vis-à-vis de la nature. Dans un premier temps, Nunkui donne à la Femme la garde de sa petite fille Ciki, qui a le pouvoir de faire apparaître les choses en les nommant. Mais un jour, les femmes vont au jardin en laissant la garde de la petite fille à leurs enfants, qui lui demandent de nommer les symboles de la “réciprocité négative”. Ils en ont peur et frappent Ciki. Les femmes reviennent à temps. Nunkui consent à leur laisser Ciki mais désormais elles devront sarcler les plants de manioc pour que ceux-ci continuent à pousser : c’est par le travail que les Shuar pourront fabriquer le masato, la boisson fermentée de manioc qui chez eux scelle toutes les relations sociales (de réciprocité positive). L’agriculture délivre les chasseurs-cueilleurs-pêcheurs nomades de leur dépendance immédiate de la nature. La valeur créée sera spécifiquement humaine. De là sans doute la sanctification du travail dans la tradition Shuar, Hébraïque, etc.

En Europe également des sociétés se référent à la réciprocité négative, comme en Albanie, au Caucase, en Corse… Offrirait-elle l’avantage d’un accès au surnaturel qui ne courrait pas le risque d’être confondu avec la vie ? Il est remarquable en tout cas qu’elle demeure au moins de façon symbolique toujours associée à la réciprocité positive. Le travail est dès lors conjoint à un certain effort qui accompagne le bonheur de tous ceux qui font partie de la communauté. En un mot, l’abondance de la société ne connaît pas de défaillance lors du passage de la communauté des chasseurs à la communauté des laboureurs : bien au contraire, elle s’accroît et l’agriculture permet à l’homme d’instituer la réciprocité libre de toute contrainte.

Cependant, pour expliquer la complémentarité des activi-tés productrices des communautés sédentaires, García Linera propose une autre hypothèse :

« De plus, ce même élan à se maintenir unis surgira de ceux qui dépendent de la subsistance produite par d’autres pour se nourrir pendant les “périodes improductives” jusqu’à ce que leur travail agricole propre soit effectif, et aussi par ceux qui ont accompli leur cycle face aux autres et qui attendent maintenant des autres la restitution des avances de subsistance et des semences qui ont pu les maintenir initialement [24]. »

Il nous ramène ainsi à une forme d’existence caractérisée par la détresse et à la menace de la guerre. La communauté devient une organisation préventive parce qu’elle est inquiète de sa capacité de reproduction. Si la communauté vivait dans une telle angoisse, on pourrait comprendre qu’elle s’isole et qu’elle fasse valoir son intérêt sans s’occuper de celui des autres. En fonction d’une telle prémisse, la déduction de Linera est logique, mais cette prémisse est un axiome qui ne respecte pas les faits que l’observation montre à l’évidence. Dans les conditions d’existence les plus difficiles du continent, dans le piémont des Andes, on devrait rencontrer cette solidarité organique. Que les conditions d’existence soient difficiles, c’est ce que confirme aussi bien la science que le mythe. La science dit que les torrents des Andes ne laissent aucune possibilité aux poissons de subsister faute d’oxygène, que les sols élaborés par la forêt sur les pentes abruptes des Cordillères sont rapidement épuisés par la culture sur brûlis, que la chasse dans ces régions escarpées est excessivement exigeante en énergie, et l’élevage impossible. Le mythe, lui, raconte que les hommes remontaient les rivières pour se nourrir mais ne trouvaient que des crabes minuscules quasiment vides de chair, symbole du manque de nourriture [25]. Les Shuar ou les Asháninka qui vivent dans ces contrées se sont-ils inquiétés de s’organiser pour faire face plus efficacement à ces difficultés ? Ils ont préféré développer la forme de réciprocité négative qui leur permettait d’accéder le plus immédiatement au surnaturel. Le prix en est sans doute très élevé puisque, chez les Shuar, cette forme de réciprocité s’est radicalisée en système de réciprocité de meurtre : toute famille doit subir un meurtre d’une autre famille pour pouvoir se venger et créer entre elles un Tiers, l’être Shuar, le kakarma dont le nom divin est Tsuni, l’Esprit de la vengeance. La succession alternée des meurtres permet d’intensifier la production du kakarma. L’âme de vengeance (wakani arutam) est le nom du guerrier.

Si les Shuar acceptent de payer l’accès au spirituel par la réciprocité des meurtres, cela démontre que la vie biologique et l’existence matérielle ont peu de valeur par elles-mêmes ou qu’elles n’ont de sens que d’être intégrées à la réciprocité [26].]]. Comment les choses matérielles auraient-elles une valeur par elles-mêmes si même la vie n’en a plus au regard du sentiment d’être un puissant guerrier (kakaram) ? Qu’est-ce qui préside donc au choix des Shuar ? L’impératif catégorique de la valeur éthique grâce à laquelle ils se reconnaissent comme êtres humains. La nécessité conduit certes à la violence, mais la violence est immédiatement instrumentalisée par la réciprocité.

Si la nécessité disparaît, la réciprocité négative est aussitôt remplacée par la réciprocité positive. Les Shuar, en effet, n’ignorent pas la réciprocité positive. Elle est même absolue, totale, insécable, établie pour toute la vie. Il serait impossible à un Shuar de ne pas offrir tout ce qu’il possède à son amigri sans prendre le risque que sa maison ne soit immédiatement détruite pas son entourage. Et ils peuvent multiplier ces relations de face à face à la manière du jeu de dominos pour constituer des réseaux, et suspendre la réciprocité négative pour constituer ce que Harner compare à de véritables “routes commerciales” ! Cette alternative a permis le passage de la réciprocité négative à la réciprocité positive chez les Shuar du Pérou lors de la création du Conseil Aguaruna-Huambisa, dans les années 1970, une révolution indienne qui fut décisive pour l’organisation des communautés d’Amazonie et qui se révèle actuellement une base pertinente pour le développement d’une économie post-capitaliste en Amérique du Sud [27].

Le but de l’agriculture, avons-nous dit, est de produire un excédent de richesse. Le plus grand donateur peut instaurer une structure de réciprocité inégale s’il associe la croissance de son sentiment d’être humain à la puissance de sa générosité. Désormais, la réciprocité est orientée par une polarité : « Chez nous – disait Jean-Marie Tjibaou [28] – plus on donne, plus on est grand ». La grandeur toutefois risque d’être prisonnière de ce qui sert de référent au don : l’igname, le riz, le blé, le maïs, le manioc… et dès lors s’instaure une hiérarchie : celui qui produit plus et qui donne plus d’ignames est supérieur à celui qui produit moins et donne le moins. Nous ne développerons pas cette trop connue dialectique, la dialectique du don [29]. Le système de redistribution est également si connu dans toutes les sociétés amérindiennes, avec ses développements pyramidaux dans les empires inca, aztèque, maya… que nous ne l’exposerons pas non plus. Un seul est censé recevoir tous les dons et les redistribuer à tous. En Nouvelle Calédonie, les Kanak l’appellent de ce joli nom : le Grand Fils. Et puisque le Grand Fils est la conscience de tous qui s’exprime par la Parole, on l’appelle aussi le « Panier de paroles » !

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Lire la suite : Chapitre 5 Une interprétation holiste de la communauté

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Pour citer ce texte :

Dominique Temple, "Des communautés de chasseurs aux communautés d’agriculteurs", Idéologie marxiste et Théorie moderne de la réciprocité. Critique des thèses de Alvaro Garcia Linera, 2010, http://dominique.temple.free.fr/reciprocite.php, (consulté le 19 mars 2024).

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Notes

[1] Álvaro García Linera, Forma valor y forma comunidad, La Paz, Muela del diablo editores, 2009.

[2] « No hay separación entre el proceso de trabajo y el producto del trabajo, la culminación de uno es la obtención del otro, y como el objetivo social del proceso de producción no es más que la reproducción del productor y de los miembros vinculados a éste o ésta, la realización de la utilidad del producto, de su valor de uso, es igualmente inmediato (…) ». (Linera, op. cit., p. 255).

[3] « Según datos proporcionados por M. Sahlins, utilizando parámetros contemporáneos de cuantificación del trabajo por el tiempo que, no olvidemos, tienen una relevancia social radicalmente distinta a la que estamos acostumbrados hoy en día, el promedio de horas de trabajo de los individuos adultos de estos pueblos cazadores y recolectores estudiados por la antropología en los últimos 200 años es de tres a cinco horas diarias o dos y medio días por semana, 6 horas al día, incluyendo la preparación de la comida y la reparación de las herramientas. Estas tres a cinco horas de trabajo diarias son capaces además de sostener a cuatro personas con un consumo energético de 2.200 calorías, las que incluso hoy en día muchos pueblos arrastrados a la “modernidad” no pueden obtener mediante otras actividades productivas que ocupan muchas más horas de trabajo. Esta elevada “productividad” (…) coloca a los individuos de la colectividad, por un lado, ante la obtención de un abundante tiempo libre del que no sólo puede disponer para efectuar actividades recreativas, festivas o de reposo, sino que además es postulado como específica riqueza social. » (Ibid., pp. 258-259).

[4] Mauss, « Essai sur le don », op. cit.

[5] « (…) un profundo desprendimiento hacia los demás respecto a los medios materiales poseídos, comenzando por los propios instrumentos de trabajo. » (Linera, op. cit., p. 260).

[6] « Piniartoq, le mot groenlandais qui désigne le chasseur (litt. “celui qui veut”) découle de piniarpoq “faire un effort pour obtenir quelque chose”, “prendre”, “acquérir”. (…) Un second sens de Piniartoq est “pourvoyeur”. » Mark Nuttall, « Quel avenir pour les petites communautés », in Valérie Masson-Delmotte (et all.), Le Groenland, Climat, écologie, société, (Collectif), CNRS éditions, 2016, pp. 264-269.

[7] Bartomeu Melià, Estancia entre los Enawenê-nawê del Mato Grosso, Brasil 1977-1980, Centro Cultural J. de Salazar, Asunción, Paraguay, 2016.

[8] Nous retrouvons cette gratuité du geste signalée par Lévi-Strauss dans la réciprocité occitane qui exclut toute motivation par l’intérêt et toute pratique d’échange.

[9] Virginia Valadão, Yãkwá. O Banquete dos Espíritos, film documen-taire, Centro de Trabalho Indigenista, São Paulo, Brasil, 1995.

[10] Lorsqu’il y a épuisement des sols ou des ressources, il est possible de revenir en arrière avec le semi-nomadisme ou la culture sur brûlis, mais ce retour signifie la recherche d’une productivité améliorée et donc la création d’excédents.

[11] À la suite de Marx, García Linera fait référence à l’anthropologie du XIXe siècle et cite Morgan. Marx se référait à Morgan, ce qui témoigne de son intérêt extrême pour les découvertes scientifiques les plus modernes à son époque. Aujourd’hui, Marx consulterait Lévi-Strauss et se référerait à la notion d’alliance et non pas à celle de consanguinité. Ainsi, il serait excessif d’accuser Marx d’erreur lorsqu’il fait allusion à la consanguinité car il fait référence aux données scientifiques de son temps. Mais ce qui était une “limite” de la science à l’époque de Marx est aujourd’hui une “erreur”. On ne peut donc imputer cette erreur à Marx mais aux marxistes qui ne lisent pas les anthropologues d’aujourd’hui, comme Marx lisait ceux de son époque. Par ailleurs, il faut préciser que ce qui enthousiasmait Marx et Engels dans leur lecture de Morgan, ce n’était pas la consanguinité comme fondement d’une unité des bandes primitives mais au contraire que les communautés amérindiennes soient fondées sur le principe de réciprocité. Engels cite Morgan : « Liberté, égalité, fraternité, sans avoir jamais été formulés, étaient les principes fondamentaux du clan (de la gens), et celui-ci, à son tour, était l’unité de tout un système social, la base de la société indienne organisée. Ceci explique l’indomptable esprit d’indépendance et la dignité de l’attitude personnelle que chacun reconnaît aux Indiens ». Et il commente : « Nous avons ici l’occasion d’étudier l’organisation d’une société qui ne connaît pas encore l’État. L’État suppose un pouvoir public particulier, séparé de l’ensemble des citoyens qui le composent (…). Et avec toute son ingénuité et sa simplicité, quelle admirable constitution gentilice ! Sans soldats, gendarmes ni policiers, sans noblesse, sans roi ni gouverneurs, sans préfet ni juges, sans prison, sans procès, tout va son train régulier (…) Il ne peut y avoir de pauvres et de nécessiteux – l’économie domestique communiste et la gens connaissent leurs obligations envers les vieillards, les malades, les invalides de guerre. Tous sont égaux et libres – y compris les femmes. » Friedrich Engels, L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’État (1884).

[12] « La comunidad consanguínea, la unidad de parentesco, surge entonces como la primera y más sólida respuesta social a las nuevas necesidades materiales que sostienen las nuevas condiciones de trabajo. » (Linera, op. cit. p. 280).

« La comunidad de parentesco es, pues, una relación social construida a partir de una determinación natural, la consanguinidad, que es colocada, que es puesta como forma social unificatoria de la pertenencia de la individualidad a la comunidad y a su lógica organizativa productiva, al entramado técnico que le antecede y la utiliza (a la individualidad). El parentesco como relación social visible y decisoria de la comunidad no debe hacernos olvidar que su importancia clasificatoria está determinada por la específica forma de la realidad material del PTI, y es una peculiar modalidad en la que la unidad social recubre esta forma material para darle continuidad histórica. » (Ibid., p. 281).

[13] Ludovico Bertonio, Vocabulario de la Lengua Aymara, Pérou, 1612.

[14] « Según Bertonio, ayllu en aymara se decía también hata, que quiere decir semilla, y generalmente tiene el significado de linaje, de consanguinidad. » (Ibid., p. 280, en note).

[15] « Al cuñado le llaman maza y al cuñado le llama macaca antiguamente (…) al compadre del bautizo le llaman uayno, a los hombres parentesco les llaman uauquicona y a las mujeres panicota (…) estos compadres ayudavan en el trabajar y en otras necesidades y cuando están enfermos y en el comer y veve y en la fiesta y en la sementera y en la muerte a llorar y después de muerto y en todos los tiempos mientras que ellos vivieren. » (Guamán Poma de Ayala, El primer Nueva corónica y buen gobierno (Pérou, 1615), rééd. Mexico, 1988, cité par G. Linera, ibid.)

[16] « Y después, sus hijos y descendientes, nietos y biznietos se servían y guardavan la ley de dios antigua. » (Ibid.)

[17] Verónica Cereceda, « Sémiologie des tissus andins : les talegas d’Isluga », Annales, année 33, n° 5-6, Paris, Armand Colin, 1978.

[18] D. Temple, Les deux Paroles, chap. 7 La coexistence des deux Paroles chez les Aymaras, op. cit.

[19] Maurice Leenhardt, Do kamo. La personne et le mythe dans le monde mélanésien, Paris, Gallimard (1947), 1971.

[20] D. Temple, « Ethnocide, économicide et génocide au Rwanda », 1ère publication dans Transdisciplines, n° 13-14, Paris, L’Harmattan, 1995 ; 2de éd. L’espoir dans la région des Grands Lacs, collection « Réciprocité », n° 21, France, 2019.

[21] « Como lo ha señalado Meillassoux, al ser la agricultura una producción de rendimiento diferido, los miembros que colaboran con el chaqueo, que siembran o se asocian para la posesión de la tierra, tienen objetivamente “intereses de permanecer juntos para beneficiarse de su trabajo común” que emerge en la cosecha. » (Linera, op. cit., pp. 272-273).

[22] Cf. Patrick Deshayes & Barbara Keifemheim, Penser l’autre chez les Indiens Huni Kuin de l’Amazonie, Paris, L’Harmattan, 1994.

[23] D. Temple, « Le sceau du serpent », La revue de la Céramique et du Verre, n° 64 L’Art céramique Shipibo, Vendin-Le-Vieil, 1992. On retrouve ces thèmes, le vin, le sang, la poterie, la fermentation, les flûtes, dans quantité de traditions, en Polynésie, en Afrique, à Madagascar ou en Europe.

[24] « Pero además este mismo impulso a mantenerse juntos surgirá de aquellos que dependen de la subsistencia producida por otros para alimentarse durante “los periodos improductivos” hasta que su propio trabajo agrícola sea efectivo y también por aquellos que han cumplido su ciclo frente a los demás y que ahora esperan de los demás la restitución de los adelantos de subsistencia y semillas que pudo mantenerlos inicialmente. » (Linera, op. cit., p. 273).

[25] Harner, Les Jivaros, op. cit.

[26] Cf. Temple & Chabal, La réciprocité et la naissance des valeurs humaines, chap. 2 La réciprocité négative chez les Jivaros, Paris, L’Harmattan, 1995, pp. 81-126.

[27] En 1977, les Wampis, avec les Awajún, ont créé le Conseil Aguaruna et Huambisa (CAH) : première organisation indigène amazonienne à caractère régional et interethnique autonome.

[28] Jean-Marie Tjibaou (1936-1989), président du Front de Libération Nationale Kanak et Socialiste, en Nouvelle-Calédonie.

[29] D. Temple, La dialectique du don, Paris, Diffusion Inti, 1983.