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2014

L’économie sociale de Michel Rocard

Dominique TEMPLE | Décembre 2014

Publié par Paul Jorion sur son blog : http://www.pauljorion.com/blog/2014..., (12 décembre 2014).

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Le libéralisme économique soutient qu’il n’existe qu’un principe de l’économie et que ce principe est l’échange. Le libre-échange requiert la privatisation de la propriété comme condition, et se justifie de l’intérêt de chacun. Ses victimes souhaitent une alternative : on voit aujourd’hui naître de nombreuses initiatives de la société civile qui témoignent d’une réflexion éthique. Mais que peut le sentiment éthique face à une théorie qui prétend se fonder sur la raison et la science, qui soutient que l’économie obéit aux lois de la nature, et enjoint à l’éthique de prendre acte de ses lois ?

Chacun d’entre nous pourtant ne sacrifie qu’une fraction minime de son temps au calcul dans un but capitaliste, pour faire du profit et acquérir du pouvoir de domination sur autrui. Or, toutes ou presque nos activités sont interprétées dans les comptes d’une économie de profit avec des paramètres qui nous sont imposés. Pourtant le débat démocratique est un débat contradictoire dans lequel les idées des uns et les idées des autres se relativisent. De cette relativisation naît un sentiment commun qui guide notre action immédiate et transcende les oppositions idéologiques en leur substituant une convivialité, une décence collective et un savoir-vivre fondé sur le respect mutuel, la justice et la solidarité car ce sont là les valeurs immédiatement produites par notre situation de médiation entre les extrêmes. Or, cette résultante de la délibération ne se mesure pas, ne se compte pas, parce qu’elle ne se traduit pas en représentations objectives. Elle se ressent. Créer les conditions de cette médiation, c’est le but aujourd’hui de plus en plus d’initiatives de la société civile qui pourtant tournent court peut-être parce qu’elles ne sont pas accompagnées ou soutenues par la réflexion théorique adéquate.

Dans l’introduction du livre de Jeremy Rifkin, La fin du travail [1], Michel Rocard écrit :

« … il m’aura fallu près de deux ans (1976-1977) pour conduire le Parti socialiste à ce constat que les coopératives, les mutuelles et certaines associations dont l’activité n’est pas limitée au service de leurs membres ont en commun quelque chose d’essentiel, à savoir le fait d’offrir des biens ou des services sur le marché sans y être conduites par la recherche du profit personnel de leurs dirigeants. Trois bons mois furent nécessaires pour tomber d’accord sur une dénomination commune pour cet ensemble : sur ma proposition fut adopté le terme d’économie sociale. » (p. XI).

Michel Rocard voit donc naître des entreprises hors de l’économie capitaliste mais aussi hors des références du parti socialiste ! Quel est donc leur principe commun ? Quel est le principe qui guide ces prestations si ce n’est pas le profit ?

La suite précise :

« Et j’eus ensuite comme ministre, en 1981-82, le bonheur de pouvoir mettre en place quelques instruments de développement de ce secteur de l’économie sociale : le Conseil supérieur, outil de représentation et de consultation, la délégation interministérielle, outil d’accompagnement législatif et réglementaire, l’Institut de développement de l’économie sociale, instrument bancaire… et enfin le concept d’Union d’économie sociale, cadre juridique… » (Ibid.)

Il s’agit là d’outils, d’instruments destinés à faciliter la vie de ces entreprises mais non une définition de leur activité qui les justifierait les unes par rapport aux autres.

Michel Rocard prend donc acte d’un nombre de plus en plus grand d’activités et d’institutions non capitalistes. Or, s’il entend proposer des outils au développement de ces entreprises ce n’est pas indifféremment à celles qui satisfont la jouissance de quelques privilégiés comme à celles qui portent secours aux plus démunis au prétexte qu’elles ne seraient soumises ni les unes ni les autres à l’impératif du profit ! Il devient indispensable de proposer une définition des entreprises qui justifient ces soutiens. Et la voici :

« L’économie sociale regroupe des organismes de nature privée, coopératives, mutuelles, associations, qui produisent des biens ou des services et les présentent sur le marché moyennant un prix qui peut être acquitté directement par des clients ou indirectement par un tiers payant, collectivité publique ou institution de prévoyance sociale. Il s’agit d’économie marchande pour ce qui est de la production et de sa rémunération, mais pas pour ce qui est de la propriété sociale des entreprises concernées – qui émane de leurs adhérents mais comporte une part impartageable de propriété commune –, ni de leur motivation à produire – qui n’est pas d’abord le profit personnel des propriétaires ou des dirigeants majoritaires. » (Ibid.)

Il s’agit toujours d’économie de marché, mais ce marché n’est plus le marché capitaliste, et si sa condition préalable est bien la propriété des moyens de production, ce n’est plus la propriété privée mais au contraire la propriété commune.

M. Rocard étend le champ de cette économie sociale aux entreprises sous tutelle de l’Etat en écartant cette fois toute confusion avec le collectivisme.

« On peut définir plus largement le tiers secteur. L’expression vient aussi sous la plume de Rifkin sans distinction nette d’avec l’économie sociale. Le tiers secteur rassemble toutes les unités de production fournissant pour le marché, et qui ne sont ni capitalistes (propriété privée de leurs actionnaires) ni étatiques (nationalisées). L’économie sociale s’y retrouve tout entière, mais il faut y ajouter l’immense réseau des collectivités territoriales et des entreprises, notamment des régies municipales, qui en dépendent… » (p. XII.)

Ni capitaliste ni collectiviste, mais alors quelle référence ? Nombreuses sont les propositions d’un nouveau principe ! mutualisme, coopérationnisme, solidarisme, convivialisme, socialisme (dans l’acception rocardienne), etc., toutes ces propositions en appellent à au moins une valeur éthique, la responsabilité, l’amitié, la justice, la confiance, la liberté… qui implique un autre rapport social que l’échange entre intérêts. Mais quel rapport social ? L’altruisme, parce qu’il s’oppose à l’égoïsme, est la proposition qui s’impose de façon la plus immédiate ! Son prestige ou sa fascination vient de ce qu’il dépasse les limites de l’individu qui sont autant de facteurs d’impuissance de la liberté à laquelle chacun peut prétendre. Quelle déception dès lors que son échec ! La première explication de cet échec est qu’il a été dominé par l’individualisme et que l’économie sociale a été noyée dans l’économie libérale. Les deux grandes expressions de l’altruisme occidental – la colonisation pour la pensée politique et la mission pour la pensée religieuse – ont été de fait conjointes à l’expansion du colonialisme. Certes, le médecin qui porte aux populations laminées par les épidémies ou les endémies le secours de la médecine occidentale, l’enseignant qui apporte l’alphabétisation aux populations sans écriture ne se reconnaissent pas dans le colon qui privatise les terres indigènes ou le pasteur qui brûle leurs icônes… mais c’est quand même une impasse que de défendre l’altruisme lorsque celui-ci est coopté par le capitalisme. Laissons néanmoins ce débat de côté. C’est l’altruisme indépendamment de sa promiscuité ou collusion avec le capitalisme qu’il nous faut envisager car il n’a pas besoin d’être dévoyé par l’exploitation de l’homme par l’homme pour échouer.

C’est le mode de relation qui se définit comme altruisme qui est en réalité en question. L’altruisme doit répondre à un impératif qui pose la question du bien commun : qui définit le bien auquel l’un et l’autre dans une relation d’entraide sont sensés correspondre ? La définition du bien ne peut se contenter de l’idéal de chacun. Le philosophe répond que pour tout homme, le bien premier – sans lequel aucun autre ne peut être conçu – est la pensée, mais pour que chacun puisse penser encore faut-il le concours des uns et des autres, car seul le penser ensemble – le débat – peut soutenir des représentations qui fassent sens pour les uns comme pour les autres. De penser ensemble est nécessaire à la genèse des valeurs communes. Cette réponse soumet l’altruisme à un rapport à l’autre – la réciprocité – qui fait intervenir, toujours au dire du philosophe, deux paramètres : l’égalité (l’isotes) non pas l’égalité numérique mais la parité, l’égalité en droit qui respecte donc les différences de chacun. Mais aussi une certaine identité, non pas une identité de ressemblance mais de proximité, une langue commune. Le juste milieu de la bonne distance (la mesotes) se traduit dès lors en un sentiment précis, le respect. La réciprocité est appelée à soutenir l’altruisme de façon à ce que le bien qui en résulte puisse être une référence commune pour les uns comme pour les autres.

Nous savons maintenant pourquoi l’altruisme échoue, il échoue chaque fois qu’il n’est pas soutenu par la réciprocité. C’est dire aussi que lorsque l’égalité n’est pas assurée, le juste milieu ne peut se constituer comme le bien apprécié de façon identique par les deux parties. L’altruisme est impuissant chaque fois que l’un aide l’autre de façon unilatérale et que la réciprocité n’est pas d’abord requise. L’impuissance de l’altruisme nous indique une troisième voie, celle de la réciprocité qui conduit à la puissance. Ce n’est pas un jeu de mot ! Le terme est d’Aristote qui requiert la mesotes, que l’on a l’habitude de traduire par le juste milieu entre les contraires ou encore la médiété : mais qu’est-ce que cette médiété qui remplit l’espace entre les contraires ? Une conscience commune puisque déterminée ni par l’action de l’un ni par celle de l’autre mais qui prétend répondre à la fois et simultanément des deux. La médiété est ici la conscience commune qui résulte d’un rapport de réciprocité. Et par réciprocité on entend ici une relation telle que l’action de l’un soit relativisée par l’action de l’autre.

Ce qui est important n’est pas tant la question de la naissance de cette conscience ni que celle-ci soit le respect mais qu’elle ne soit possible pour l’un que pour autant qu’elle le soit pour l’autre, que la conscience soit donc engendrée pour chacun par une matrice commune. Elle est aussitôt une référence sans équivoque et, pour l’un et pour l’autre, irrécusable en tant que critère de vérité pour les représentations et les imaginaires qui en témoignent. C’est ici que se trouve le secret de la valeur. Que l’on envisage la chose du point de vue d’une relation de réciprocité connotée par la bienveillance et le sentiment qui naît entre les partenaires devient l’amitié.

S’agit-il là d’une proposition qui n’appartiendrait qu’à la philosophie aristotélicienne à laquelle nous faisons référence ? Qu’on se rassure. Toutes les communautés de la terre depuis le commencement de la société, ne cessent de redire la même chose quoique de façon empirique, certes. En France, c’est à partir du travail de Marcel Mauss que l’anthropologie a pu montrer qu’il n’est pas de société qui ne soit fondée sur l’alliance (la réciprocité directe dans ses termes, ou restreinte pour emprunter au vocabulaire de Lévi-Strauss) et sur la filiation (la réciprocité indirecte selon Marcel Mauss, ou généralisée selon Lévi-Strauss) dès la constitution d’une famille, de sorte que tout homme naît dans la société humaine dans l’expérience de ce qui constitue la matrice du sentiment d’être humain ; c’est-à-dire immédiatement doté d’une conscience éthique.

C’est par le mot partage (metadosis) que l’on décrit le plus communément la structure de réciprocité qui prévaut entre familles apparentées associées pour former une cité, et par le terme de marché lorsqu’il s’agit d’ensembles plus importants… Et déjà la distinction entre alliance, filiation, partage, marché laisse apercevoir que plusieurs structures sociales que l’on appellera ici structures sociales de base ou structures de réciprocité élémentaires sont capables d’actualiser le principe de réciprocité. Or, la valeur éthique produite par chacune de ces structures n’est pas la même. Dès lors, comme chacune de ces valeurs se prétend absolue parce que traduisant un sentiment de nature affective, la prééminence de telle ou telle entraîne l’incompatibilité d’idéaux communautaires différents. Ici par exemple la liberté, ici l’égalité, etc.

Michel Rocard, lui, choisit la justice :

« L’alternative à la barbarie montante est bien un projet global d’organisation sociale qui peut maintenant, enfin, porter le nom de socialisme, puisque celui-ci , aujourd’hui, se définit comme l’organisation collective de la liberté dans la justice. » (p. XVII.)

L’organisation collective de la liberté est alors suspendue au sentiment du juste. Mais faut-il ainsi oublier la matrice de la justice ? L’oubli de cette matrice, comme l’oubli de la matrice de toute valeur quelle qu’elle soit, oblige à suspendre l’organisation sociale à l’efficience de cette valeur, à l’impératif catégorique de cette valeur, et de surcroît à l’imaginaire dans lequel elle s’exprime, ce qui n’est pas sans conséquences souvent négatives. Prenons l’exemple de la justice elle-même : dans une structure de réciprocité généralisée, le sentiment d’être toujours responsable d’autrui qui naît du fait que chacun incarne la médiété pour les autres se redouble de l’obligation d’équilibrer ses prestations de façon égale, ni trop ni pas assez à chacun de ses partenaires puisque chacun est intermédiaire entre deux autres : le sentiment de responsabilité se redouble du sentiment de justice. Or, dans un système de réciprocité centralisée, que l’on appelle aussi redistribution, un seul protagoniste sert de tiers intermédiaire entre tous les autres : sur lui convergent toutes les contributions qu’il répartit à chacun de façon égale. Ce médiateur unique est donc seul à être investi du sentiment de la justice. Autre distinction : dans un système de réciprocité de bienveillance, la justice est distributive, mais dans un système de réciprocité négative  (lire la définition) , la justice est corrective. Bref, la justice se décline sous des modalités différentes selon la structure  (lire la définition) et la forme  (lire la définition) de la réciprocité qui lui donne naissance.

L’économie sociale doit donc défier deux écueils. Le premier est que le choix d’une valeur n’en est pas moins limité par le choix d’une autre valeur par autrui d’où la compétition aveugle entre des références exclusives les unes des autres, la liberté et l’amitié, l’amitié et la justice, ou la sécurité et la responsabilité, etc., sans parler des incompréhensions dues aux imaginaires de chacun en fonction de ses qualités individuelles. Le second est qu’étant de nature affective, toute valeur étant absolue, elle s’impose et du coup écarte l’éventualité d’une réflexion théorique jugée superflue parce qu’insultant sa perfection ou diminuant son efficience ! Si l’on échappe à Charybde, on n’échappe pas à Scylla : le second écueil ne pardonne pas.

Il faut ici dire et redire : la difficulté pour laquelle les valeurs éthiques ne peuvent être invoquées sans conduire à ces deux écueils est que tout sentiment éthique est de nature affective et donc absolue.

Le libre-échange se présente alors comme une alternative à l’affrontement de communautés qui chacune est intransigeante sur sa définition de la valeur. Il permet de passer outre à toute obligation éthique, au bénéfice du pouvoir de chacun de choisir ce qui lui convient en fonction d’un rapport de force neutre et objectif. La raison trouve ici une fonction utilitaire. Le libéralisme politique se prévaut donc comme son nom l’indique de la caution du libre-arbitre.

La raison utilise pour gérer l’économie la logique empruntée à la physique. Que cette logique permette de dominer le monde est pour le libéralisme économique un atout majeur et même décisif car ce sont de très puissants moyens dont il peut disposer non seulement pour améliorer les conditions d’existence de tout le monde mais pour démultiplier la concurrence entre les uns et les autres en incitant chacun à l’investissement pour acquérir toujours plus de pouvoir. Mais elle exerce aussi un effet dévastateur en donnant aux plus forts les moyens d’écraser les plus faibles et l’occasion de s’approprier des choses rares, des ressources naturelles, des moyens de production… par la privatisation de la propriété.

En l’absence de la théorie de la réciprocité, quand bien même au nom des valeurs constituées et héritées de la Tradition toutes les victimes de l’accumulation capitaliste se ligueraient-elles pour accéder au pouvoir politique, rien ne leur permettrait de se libérer des lois de la physique qui conduit à traiter des hommes comme des choses ou encore leurs rapports comme des rapports de forces, et l’échange restera la référence obligée. L’impuissance de l’économie sociale n’est donc pas due à la vilenie ou à la méchanceté du libéralisme économique mais à son propre aveuglement théorique.

Nombre d’auteurs croient résoudre la difficulté en envisageant deux niveaux économiques qu’il suffirait de protéger l’un de l’autre, l’un qui intéresserait les relations de proximité où la réciprocité pourrait être vécue selon le mode appris de la communauté familiale, et l’autre qui serait sacrifié au libre-échange, renouvelant la distinction sur laquelle Aristote fondait les deux sens antinomiques de la chrématistique : l’accumulation du capital de redistribution à l’intérieur de la cité (ou de l’économie domestique que l’on traduit parfois par oikonomie (oikos : communauté familiale) et l’accumulation sans limites du pouvoir économique obtenu de la spéculation qu’autorise le libre-échange. Il n’est pas nécessaire de recourir à la théorie, disent les promoteurs de cette dichotomie : l’expérience suffit, et tout un chacun, parce qu’il peut apprécier les valeurs éthiques produites par ses relations avec autrui dès sa naissance dans sa famille, dispose d’une conscience affective dont l’efficience est immédiate et sûre qui n’a pas besoin de la théorie ou de la réflexion pour se manifester. Bien au contraire, la spontanéité est sans aucun doute une condition de son authenticité. On ne se demande pas pourquoi on tend la main à quelqu’un qui se noie. D’où leur proposition de garder la réciprocité pour les relations affectives et laisser l’organisation politique au libre-échange. Cette solution trouve cependant vite une limite qu’illustre la lutte du pot de terre et du pot de fer. Personne ne conteste que le pot de terre puisse contenir du très bon vin bien meilleur que celui du pot de fer, mais ce n’est pas leur contenu que l’on doit envisager mais le contenant. C’est des institutions dont il est question et des entreprises qui doivent en respecter les règles, et lorsque le pot de fer rencontre le pot de terre celui-ci ne tient pas.

Le duel entre l’économie sociale et l’économie capitaliste devient alors d’autant plus pathétique que la bourgeoisie ne méprise pas les liens créés par les relations de réciprocité, bien au contraire elle les utilise à bon escient pourrait-on dire pour renforcer la cohésion de sa classe. Avec pudeur, elle se contente alors d’appeler l’intimité créée entre les co-propriétaires du capital lien social. Au contraire, à chaque fois que l’économie solidaire ou l’économie sociale croit se démultiplier en faisant appel aux services du libre-échange, c’est la soumission des valeurs éthiques aux impératifs de la concurrence pour le pouvoir qu’elle promeut de façon suicidaire. En l’absence d’une théorie qui rende compte de la logique propre de chaque système et en l’absence par conséquent d’interface, toute entreprise passe en fin de compte sous le joug de la raison utilitariste.

On doit donc se tourner dans une autre direction. L’autre direction est de donner une dimension politique aux valeurs reconnues dans l’économie domestique et de créer pour cela les institutions correspondant aux structures de réciprocité familiale à l’échelon planétaire.

Si toute valeur éthique se présente comme un commandement qui ne souffre aucune contestation, par contre elle peut être maîtrisée à sa source par les conditions de sa genèse, au niveau de sa matrice. Mais redisons le encore une fois, la maîtrise rationnelle de la réciprocité n’est possible que depuis que la raison peut respecter les rapports des uns et des autres selon une autre logique que celle des rapports de force, c’est-à-dire seulement depuis qu’elle peut appliquer aux relations humaines une autre logique  (lire la définition) que celle de la physique.

Or, la science autorise aujourd’hui que l’on fasse droit aux matrices de la valeur sans leur substituer des structures sociales qui leur font violence parce que seulement compatibles avec les rapports de force de la physique newtonienne. Elle met à la disposition de tous les découvertes nécessaires à la maîtrise de la logique de la vie et celle de l’esprit. La science permet de reconnaître comment ces logiques peuvent s’exercer sans apparaître irrationnelles.

Et dès lors il est possible de comprendre les buts et les choix affectifs des diverses parties prenantes de la nébuleuse que Michel Rocard place sous le terme d’économie sociale et de propriété commune. Et il est possible de proposer comme il l’a fait les outils nécessaires à ces entreprises qui obéissent au principe de réciprocité de façon à concilier les valeurs qu’elles produisent, mais sans être dupes de leurs impératifs et de leurs affrontements.

On s’apercevra aussi que cette économie sociale n’est pas seulement réinventée par la société civile pour faire face à “la barbarie montante” mais qu’elle est apparentée aux économies non capitalistes du monde entier qui faute d’une théorie qui en dévoile la rationalité sont de plus en plus saccagées par l’incessante agression capitaliste. Un champ encore plus vaste que celui de l’État providence !

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Superior


Notas

[1] RIFKIN, Jeremy. La Fin du travail, Paris : La Découverte, 1997.