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Septembre 2010

2012

Droit à la réciprocité

Dominique TEMPLE |

La gratuité des biens premiers

Les biens que la nature assure à l’homme à l’origine – les biens premiers – ne peuvent qu’être partagés. L’argument fut emphatiquement développé lors de la Révolution française :

« si une société n’est pas capable d’offrir à ses citoyens les conditions d’existence que lui offrait la nature, elle n’est pas digne d’être dite humaine. »

Ces biens l’air, l’eau, la terre et le feu nécessaires à la vie des hommes étaient jadis en quantité inépuisable. Le développement de la société modifie aujourd’hui cette donnée. Les richesses de la terre apparaissent désormais en quantité limitée. Or, les biens premiers, qui doivent être à la disposition de tous, sont aujourd’hui réservés à une part de plus en plus restreinte des hommes y compris au sein des sociétés les plus riches. Les biens offerts par la nature en quantité limitée doivent donc être retirés du champ du profit. Les végétaux et les animaux doivent également être protégés parce qu’ils contribuent aux équilibres biologiques dont dépend la vie sur terre : le plancton, les poissons, les oiseaux… Les biens créés par la société, l’éducation, l’enseignement, l’information, la protection sociale doivent être gratuits. “Si une société n’est pas capable d’offrir à tous ses propres créations, elle n’est pas digne…”

Le droit à la réciprocité

L’allocation universelle a été proposée dès la Révolution française : elle doit permettre à chacun, dans une société ou l’accès aux biens est monétarisé, de faire face à autrui en totale sécurité, et de n’accepter ses conditions qu’en toute liberté. Elle doit être sans condition car seul le do ut des (je donne pour que tu donnes) ouvre le droit de chacun à faire valoir ses compétences. Le pouvoir de donner à son tour est le droit à la réciprocité, droit de participer aux relations qui fondent le sujet en tant qu’humain en chacun des membres de la société.

Le droit à la réciprocité se heurte fondamentalement au droit bourgeois. La bourgeoisie veille en effet à ce que le salarié ne soit pas en mesure de négocier les conditions de son travail. Elle imposa d’abord que toute la plus-value se convertisse en profit capitaliste. Après la crise de 1929 et la deuxième guerre mondiale elle consentit au prolétariat un “revenu” mais à la condition que la consommation de ce revenu assure la croissance du capital. Néanmoins, le prolétariat a pu convertir une partie de ses bénéfices en relations de réciprocité : les conventions collectives, le salaire minimum, la sécurité sociale, les allocations familiales, la retraite, la limite du temps de travail, les congés payés…

Aujourd’hui, le crédit permet de démultiplier la consommation mais une consommation de plus en plus productive (du capital) et de moins en moins productrice (du bien commun) : entre l’une et l’autre se crée une contradiction jusqu’ici non résolue [1]. Quant à la question de la production des valeurs éthiques, elle demeure toujours en suspens.

La limite au profit

Limiter le profit permettrait de transformer l’investissement lucratif en investissement non-lucratif ; le pouvoir d’asservir en pouvoir de servir ; la propriété privée en propriété universelle ; l’entreprise individuelle en entreprise responsable ; la société anonyme en entreprise communautaire ; la concurrence en émulation ; le profit en prestige social. Cette substitution de paradigme ne limiterait ni l’investissement ni la croissance mais en changerait la finalité.

Le système capitaliste subordonnait jusqu’à présent l’information, l’éducation, l’enseignement, la recherche scientifique à la propriété privée. Qui maîtrisait l’information par la privatisation de la télévision et de la radio, du téléphone et du télégraphe, disposait du pouvoir. Marx annonça que la technique affranchirait la société du travail pénible, mais il n’a pas imaginé que la technique échapperait des mains de l’homme, et encore moins que la technique ainsi libérée imposerait le principe de réciprocité ! L’Internet est pourtant cette conscience humaine cristallisée devenue vivante qui se développe hors du contrôle des individus et qui, parce qu’il est universel et gratuit, permet de substituer la réciprocité à l’échange.

La génération qui naît aujourd’hui ne pourra pas même reconnaître le monde dans lequel nous vivons. La réciprocité sera pour elle si naturellement assumée que personne ne pensera à la nommer au départ de ses actes. Elle sera redevenue une condition préalable d’existence mais affranchie des aliénations qui la dévoyaient. Et les murs de la mer rouge se refermeront.

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Notas

[1] Consommation productive : la dépense d’énergie que chacun subit au cours de son travail ou de son activité, par exemple d’un sportif, autrement dit le catabolisme. Consommation productrice : la consommation de matière première et d’énergie utilisée pour reconstruire son intégrité, autrement dit l’anabolisme. Marx appelait cette dernière la consommation vraie.