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janvier 2017

Essai critique sur le « Commun ». Chapitre V - Marx et Mauss

Dominique Temple

Marx

Parmi les conceptions du commun dont ils démontrent l’insuffisance, Pierre Dardot et Christian Laval citent celle du marxisme.

Dans la perspective marxiste, l’accumulation immédiate du capital n’est rien d’autre, disent-ils, que la « dissolution de la propriété privée fondée sur le travail personnel », selon l’expression de Karl Marx. Le terme privé est entendu par Marx de deux façons : la propriété fondée sur le travail personnel, et la propriété privée sur l’expropriation de cette propriété par la bourgeoisie. Dans ce second sens, la propriété privée est l’expropriation de la propriété privée dans le premier sens. Selon Pierre Dardot et Christian Laval :

« seuls les économistes bornés croient que le capitalisme est le règne de la propriété privée en général alors qu’il est plus fondamentalement la destruction de la propriété privée des producteurs immédiats » [1].

Il n’empêche que l’usage du mot privé pour dire d’une part la propriété tout court ou encore la propriété individuelle, et d’autre part son expropriation par la privatisation, est source de confusion.

Pierre Dardot et Christian Laval ajoutent que le thème des communs « n’a guère droit de cité dans la conception de l’évolution historique élaborée par Marx, du moins pendant la plus grande partie de son travail théorique » [2], c’est-à-dire dans son analyse de la genèse du capitalisme. L’on ne peut cependant en conclure qu’il n’a pas droit de cité dans la conception théorique que Marx se fait de l’évolution de l’économie humaine. Marx soutient sans réserve le droit de ceux qui se révoltent contre la privatisation du bien commun, comme le rappelle Pierre Dardot et Christian Laval dans leur étude de sa défense du droit des pauvres [3]. Ils maintiennent néanmoins leur réserve même s’ils la nuancent :

« Mais Marx lui-même a témoigné d’un certain repentir lorsque, dans les fameuses lettres à Vera Zassoulitch, il avance que les vestiges de la propriété communale en Russie auraient pu servir de point d’appui à la révolution communiste, ce qui aurait totalement remis en question le schéma historique de la succession des modes de production qu’il persistait pourtant à défendre » [4].

S’agit-il seulement d’un « repentir » ? À la lecture du texte original, Marx se révèle bien plus engagé [5] : il parle de la propriété communale et non des vestiges de la propriété communale ; il déclare qu’elle a tant de qualités intrinsèques, qu’elle peut donc devenir le point de départ direct, et non pas aurait pu servir de point d’appui, du système communiste. Et à lire les divers brouillons de sa lettre à Vera Zassoulitch, on s’aperçoit que c’est avec une rare violence qu’il condamne quiconque met en cause la possibilité du passage direct de la commune au communisme. Il traite même les communistes qui le contrediraient sur ce point de « cinquième colonne de l’ennemi »… ! L’erreur, inlassablement dénoncée par Marx, est de tirer de la genèse du capitalisme des règles qui s’appliqueraient à la genèse de l’économie humaine.

Ce n’est pas sur ce terrain que la critique de Marx trouve ses limites mais sur sa conception du développement de la société qu’il emprunte à l’anthropologie pourtant la plus révolutionnaire de son temps, celle de Lewis Henry Morgan. Morgan imagine que la société est issue d’un processus évolutif. Il suppose à l’origine une horde indivise qui se différencie en familles nucléaires. Marx en déduit la propriété collective originelle et la propriété qu’il appelle privée patriarcale (celle des familles différenciées) qui s’oppose donc à la première due à l’indivision primitive. Il n’imagine pas d’autre mode d’appropriation de la nature que cette double appropriation dite privée et collective.

À quoi donc se trouve restreinte la réciprocité ? À la coordination organique qui détermine l’action de chacun de façon complémentaire à celle des autres. Ce n’est que lorsque l’inconscient sera relayé par la conscience réfléchie que l’individu pourra nouer des relations de réciprocité voulues et non plus subies. Ce sera donc contre le collectif primitif que l’individu prendra d’abord conscience de sa liberté et imaginera la propriété privée, et ce ne sera qu’au terme de la révolution communiste que, dénonçant la privatisation capitaliste, il pourra librement travailler pour autrui, d’où les phases intermédiaires de l’acquisition de la propriété privée individuelle de producteur libre, puis la perte de cette propriété lors de son expropriation par la bourgeoisie. Mais cette construction repose sur un postulat fragile.

Il faudra attendre Claude Lévi-Strauss pour se rendre compte que la famille indivise originelle postulée par Morgan n’a pas de sens du point de vue de l’hominisation. L’humain apparaît dès le moment où la conscience se sépare de l’instinct biologique. La conscience pourra se réfléchir sur elle-même grâce à la réciprocité. Son expression la plus immédiate sera la prohibition de l’inceste. Les communautés développent aussitôt toutes les structures de réciprocité possibles, comme si elles voulaient explorer toutes les compétences que leur offre le « principe de réciprocité » qui, on l’a dit, se traduit alors par l’alliance et la filiation mais aussi la redistribution et le partage, puisque chaque couple a une descendance nombreuse qui induit la redistribution parentale et entre les descendants le partage.

La révélation que les hommes sont ensemble les coauteurs d’une humanité dont la conscience est libérée non seulement des contraintes de la vie ou des conditions physiques de l’existence mais encore de sa sujétion au caractère absolu de la conscience affective sera le fait de la raison lorsqu’elle comprendra comment se trame la genèse de la liberté commune.

Cette anthropologie est donc fort différente de celle de Morgan, et si Marx l’avait connue, c’est sur elle qu’il aurait fondé le mode d’appropriation de la nature au lieu de l’établir sur la propriété collective et la propriété privée.

La propriété individuelle a donc une autre définition que celle de la propriété privée, et la conscience commune se révèle comme le sentiment éthique de l’humanité partout où se constitue sa matrice, la réciprocité  (lire la définition) . Mais où et quand émerge cette conscience de telle façon qu’elle soit commune et à la fois réfléchie dans la conscience individuelle, mais aussi rationnelle et pas seulement affective ? Marx répond : lorsque la privatisation des moyens de production par la bourgeoisie sera abolie et que la propriété sera rendue à tous, et du moment que la propriété de chacun sera ordonnée aux nécessités d’autrui [6].

C’est la formule que proposait déjà Aristote : la propriété individuelle dans la mesure de la responsabilité de chacun sur les besoins d’autrui.

Mauss

Comment se réapproprier le monde confisqué par le capital ? Pierre Dardot et Christian Laval évoquent la thèse proudhonienne. De la confusion entre échange et réciprocité, c’est pourtant bien Proudhon qui en donne l’exemple :

« “Le mot français mutuel, mutualité, mutation, qui a pour synonyme réciproque, réciprocité, vient du latin mutuum qui signifie prêt (de consommation), et dans un sens plus large, échange”. (Pierre-Joseph Proudhon, De la capacité politique des classes ouvrières. Dentu, Paris, 1865, p. 183).
Si l’on suppose que l’emprunteur qui consomme ce prêt en rende l’équivalent sous une forme ou sous une autre et que le prêteur devienne de son côté un emprunteur, on aura alors une “prestation mutuelle” ou un “échange” » [7].

Ce texte montre la cécité de Proudhon sur la réciprocité anthropologique, et sa confusion avec ce que Marx appelle « l’échange » ou le « vol réciproque » [8], une réciprocité formelle  (lire la définition) qui remplace l’intersubjectivité. La réciprocité formelle sert à transmettre de l’un à l’autre un objet, et ici à équilibrer deux échanges. Cette réciprocité ne signifie plus la relativisation de l’intérêt de chacun par l’intérêt de l’autre, mais au contraire la satisfaction de l’un par le moyen de l’autre [9].

Pierre Dardot et Christian Laval font alors état de la pensée de Marcel Mauss qui soutient que la force morale du prolétariat n’est pas une propriété innée mais une création, et que l’ouvrier se reconnaît dans une pratique sociale commune. Ils soulignent sa vision de la genèse de la valeur.

« L’action socialiste est toujours une pratique de transformation de ceux qui s’y engagent. (…)
C’est la pratique qui compte et qui permet de modifier les habitudes mentales. La pratique de la coopération, qui permet de devenir un “bon socialiste pratique”, n’a pas seulement d’effets sur l’économie, elle agit sur toutes les dimensions humaines » [10].

Ils citent un texte dans lequel on dénombre dix-neuf fois le mot nouveau :

« L’apparition d’un nouvel organe juridique, de nouveaux principes d’action, de nouveaux motifs de sacrifice et de solidarité, de nouveaux moyens de grandir et de conquérir. Ce qui est évident surtout, c’est cette création d’un droit nouveau, d’un droit ouvrier, cette naissance d’une personnalité morale nouvelle, le syndicat » [11].

Mauss scande l’idée d’une production de la valeur par une pratique sociale comme s’il observait des faits, mais dont la raison lui échappe. Où est l’impasse ? Mauss espère que le prolétariat soit à l’origine d’une autre organisation de la société, comme si la négation du profit et l’échange égal suffisaient à libérer la réciprocité des ouvriers dans leur syndicat, mais cette espérance est vaine parce que pour le syndicat la notion de la valeur demeure réduite à celle de la valeur d’échange. En réalité, à partir du moment où l’ouvrier accepte sa condition salariale, c’est par l’échange de sa force de travail qu’il doit défendre son intérêt, et dès lors toute tentative d’organisation ouvrière sera déterminée par la défense collective de cet intérêt. C’est donc dès le principe que toute organisation économique ouvrière est dans l’impasse. Entre eux, les ouvriers peuvent bien recréer des liens d’amitié, mais ces liens n’ont aucune incidence sur l’économie dont ils tirent leur subsistance et au succès de laquelle ils contribuent par leur travail, encore moins lorsqu’ils accèdent à des postes de responsabilité ou reprennent des entreprises défaillantes.

Les tentatives d’instaurer une économie ouvrière fondée sur l’échange réciproque et qui exclurait le profit ne sauraient être confondues avec celles d’une économie de réciprocité qui utiliserait l’échange pour démultiplier la réciprocité (l’échange de réciprocité  (lire la définition) ). L’échange réciproque vise l’égalité des échanges, mais pas d’engendrer un homme nouveau doué de valeurs éthiques communes. L’échange de réciprocité, au contraire, déploie le Tiers engendré par la réciprocité entre les partenaires, qui sera l’amitié ou la confiance ou la justice ou la responsabilité selon la structure sociale qui le produit. Ces valeurs qui constituent le contenu du lien social ne peuvent être engendrées par l’échange y compris l’échange égal puisque celui-ci ne vise que la satisfaction des intérêts des échangistes. Et l’on comprend alors pourquoi de Proudhon à Lévi-Strauss, et de Mauss à l’économie solidaire l’élan populaire vers plus de justice sociale se trouve fourvoyé dans une voie sans issue [12].

On objectera que l’expérience peut articuler entre elles toutes les structures de réciprocité hors de l’emprise du capital dans les coutumes populaires, ou encore que la réciprocité est donnée à tous dès l’origine de façon complexe puisque tout être humain naît de la relation d’alliance, et qu’il bénéficie de la relation de filiation, de la redistribution et du partage. Ce n’est pas en vain que chacun peut se prévaloir d’un capital symbolique. Et l’expérience peut aussi prendre en compte les modifications apportées à la tradition par le développement des connaissances qui permettent de franchir l’espace approprié par la communauté de parenté. Aussi, Pierre Dardot et Christian Laval soulignent-ils le caractère dynamique du commun comme fait d’instituer, qu’ils opposent au fait institué. Ils soulignent que la réflexion socialiste sur cette question de la production de l’éthique conduit les auteurs à s’adosser à la tradition mais n’exclut pas sa genèse à partir de la société moderne.

« Pour Mauss et Fauconnet, le mot “institution” est le plus approprié pour désigner “toutes les manières d’agir et de penser que l’individu trouve préétablies et dont la transmission se fait le plus généralement par voie de l’éducation”. Selon eux, l’objet de la sociologie consiste en un ensemble d’habitudes collectives, c’est-à-dire de “manières d’agir ou de penser, consacrées par la tradition et que la société impose aux individus”. À ceci près que ces habitudes “se transforment incessamment” et que ces transformations doivent aussi être considérées comme des parties de l’objet de la sociologie. (…)
Cela conduit les deux auteurs à une analogie audacieuse et passablement naturaliste : “l’institution est en somme dans l’ordre social ce qu’est la fonction dans le biologique : et de même que la science de la vie est la science des fonctions vitales, la science de la société est la science des institutions ainsi définies” (Marcel Mauss, Essais de sociologie. 1971). La porte est ouverte à ce qui deviendra au XX e siècle, particulièrement dans le monde anglo-saxon, la sociologie dite “structuralo-fonctionnaliste” » [13].

Nous connaissons Mauss socialiste mais aussi Mauss anthropologue qui, lui, découvre le principe de réciprocité, la triple obligation de donner - recevoir - rendre, et le Tiers. Cependant, faute de disposer d’une épistémologie et d’un organon logique qui lui eussent permis de représenter ce Tiers dans le langage scientifique de son époque, il se contente de le nommer d’un terme indigène le mana.

À peine évoqué, le mana sera banni du langage scientifique. Dans son introduction à l’Essai sur le don, Claude Lévi-Strauss le congédie comme un recours des indigènes qui obéiraient à leur intérêt bien compris sous le masque du don faute de pouvoir se représenter « l’échange réciproque » de façon rationnelle. Le mana serait un artifice pour pallier le défaut d’une représentation objective de l’échange. La réciprocité anthropologique sera dès lors remplacée par la réciprocité formelle dont le rôle est seulement de rendre l’échange égal dans le souci d’éviter l’épreuve de force entre intérêts rivaux [14].

Or, Mauss a donné une définition du mana, du hau maori en particulier, comme obligation morale, qui serait un Tiers entre les protagonistes de la réciprocité. Du moins a-t-il correctement situé cette puissance spirituelle au sein de la réciprocité. Le mana serait la force morale à la source du Droit qui anime toutes les institutions humaines. Mais comment se construit ce Tiers ? L’ontologie de son temps souscrit au principe du Tiers exclu de la logique classique et de la physique. L’état de développement des recherches scientifiques au début du XXe siècle empêche Mauss de concevoir la genèse de ce Tiers. Il faudra attendre la controverse de Gaston Bachelard et de Stéphane Lupasco pour que la question de l’« immanence transcendantale » du Tiers soit l’objet d’une question philosophique qui puisse s’appuyer sur l’épistémologie de la physique moderne et de la biologie [15].

Il est quand même étrange que Mauss-anthropologue n’ait pu faire la synthèse de ses découvertes de la réciprocité, et du mana qui lui est associé, et de la dynamique évolutive que Mauss-socialiste découvre dans le syndicalisme, et plus précisément dans la coopération du mouvement syndical. D’autant plus qu’il donne au mana, auquel il suspend la réciprocité indigène, et à la valeur qu’il fait naître de la pratique sociale, la même définition : une force morale !

Pierre Dardot et Christian Laval soutiennent à leur tour que :

« Le travail, quand il n’est pas complètement prescrit et canalisé, se révèle aussi créateur, ou, comme nous disons ici, instituant : liens de camaraderie, gestes nouveaux, modes de coordination et de coopération et surtout règles tacites d’entraide et de connivence entre les salariés. Le travail crée et renouvelle le milieu dans lequel il se déroule, il soutient une règle collective, implicite et informelle, de coopération. Il produit ses propres conditions d’effectuation, autant qu’il le peut, il constitue ses cadres moraux, il “fait société”, évidemment dans les limites des contraintes bureaucratiques et des impératifs managériaux qui pèsent sur lui » [16].

Ils s’approchent ainsi de la conception du travail de Karl Marx dans une société où il serait ordonné à la réciprocité. « Ce n’est donc pas, ajoutent-ils, que la coopération soit une obligation prescrite par un système de règles explicite, c’est plutôt que la coactivité dans le travail s’accompagne d’une obligation, même minimale, de sens du commun ».

Ces gestes « naturels » n’ont jamais cessé d’exister, et si le capitalisme s’est construit sans en tenir compte c’est bien qu’il a pu longtemps les ignorer. Certes, si le capitalisme désire aujourd’hui intégrer cette force du commun au service des buts de l’entreprise sinon de l’entreprise elle-même, c’est que cette force du commun se développe comme une expression de la liberté du salariat. Les hommes ont l’occasion de redécouvrir le fondement de leur humanité tous les jours dans un geste inaugural (se dire bonjour !), et peuvent aussi imaginer un rapport de production à partir d’un mode de relation qui ne soit pas la défense de leur intérêt ou de leur amour-propre. Mais l’entreprise capitaliste aussi peut intégrer la coopération démocratique au sein de son projet. Les « liens de camaraderie, gestes nouveaux, modes de coordination et de coopération et surtout règles tacites d’entraide et de connivence entre les salariés » sont pris en considération dès qu’ils sont utiles et qu’ils peuvent être inféodés au succès de l’entreprise. Il serait donc naïf de penser qu’à partir de ces gestes de réciprocité, il soit possible de reconstruire la cité au sein de la société capitaliste.

La controverse entre proudhoniens et marxistes sur la question de savoir comment se profile la conscience révolutionnaire n’est pas près d’être close sans doute parce qu’elle est dans une double impasse : l’idée proudhonienne de forces vives en marge de l’exploitation capitaliste qui s’approprieraient la maîtrise de l’économie bute sur la propension du capital à suborner tout ce qui apparaît à son horizon comme une force de travail libre, et l’idée que le travailleur puisse s’organiser en classe sociale capable d’organiser ses compétences qu’il consacrerait à sa propre émancipation bute sur la soumission de la volonté et de la conscience du travailleur aux objectifs du capital comme condition de sa liberté relative.

Pierre Dardot et Christian Laval observent dans le sillage de Mauss que :

« Si les travailleurs sont aujourd’hui attachés à leur travail, en dépit des conditions d’emploi et de revenus qu’ils subissent, ce n’est pas uniquement par aliénation, servitude volontaire ou pure contrainte économique, cela tient au fait que le travail salarié reste l’activité grâce à laquelle les individus dans leur masse se socialisent et entretiennent des liens avec les autres » [17].

Mais aussi que : « C’est bien cette relation symbolique, à la base des liens de réciprocité, que la direction de l’entreprise cherche à exploiter à son profit » [18].

Les capitalistes ont surtout bien observé que ce ne sont pas tant les relations symboliques entre ouvriers qui sont à la base des liens de réciprocité, que les relations de réciprocité entre les ouvriers qui sont à la base de leurs relations symboliques, de sorte que maîtrisant les relations de réciprocité des ouvriers entre eux en leur ménageant un espace propre au sein de l’entreprise, ils s’approprient le capital symbolique construit par les ouvriers entre eux et le mettent au service de la finalité de leur entreprise. Il leur suffit de ménager une place à ces relations de façon à les intégrer dans l’organisation capitaliste [19].

Lire la suite : Chapitre VI - Le capitalisme cognitif


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Notes

[1] Pierre Dardot et Christian Laval, Commun. Essai sur la révolution au XXIe siècle. Paris, La Découverte, p. 124.

[2] Ibid., p. 125.

[3] Ibid., voir le chap. 8 Le « droit coutumier de la pauvreté », pp. 325 à 365.

[4] Ibid., p. 125.

[5] Lettres de Marx à Vera Zassoulitch : « La “commune rurale” russe est sans pareille. (…) Elle peut donc devenir le point de départ direct du système économique auquel tend la société moderne et faire peau neuve sans commencer par se suicider. » (C’est Marx qui souligne). Cf. Dangeville Roger, « Lettres de Marx à Véra Zassoulitch », L’Homme et la société, N° 5, 1967, p. 170. Voir : www.persee.fr/doc/homso_0018.... Voir aussi : Karl Marx, Réponse de Marx à Vera Zassoulitch, Œuvres II, Economie, La Pléiade, pp. 1557-1573.

[6] Karl Marx, Œuvres. Tome II Économie et philosophie (Manuscrits de 1844), § 22 La production humaine, éd. La Pléiade, pp. 33-34.

[7] Pierre Dardot et Christian Laval, Commun, op. cit., p. 561.

[8] Karl Marx, « Le vol réciproque », Œuvres. Tome II Économie et philosophie (Manuscrits de 1844), § 22 La production humaine, op. cit., pp. 31-33.

[9] C’est au Brésil que la thèse proudhonienne a eu le plus d’écho. Il semble qu’au contact des communautés noires et amérindiennes, dont l’esclavage et le racisme n’ont pas effacé toutes les traditions, une alternative ait toujours hanté la réflexion sociologique car les coutumes de ces sociétés dominées sont demeurées la source vive d’une autre économie (souterraine, cachée, etc.). Mais faute d’en avoir reconnu le principe (la réciprocité anthropologique), la tradition proudhonienne s’est interdit d’en développer la puissance. L’interprétation de la réciprocité comme échange a sans doute été la cause de cet échec.

[10] Pierre Dardot et Christian Laval, Commun, op. cit., pp. 396-397.

[11] Ibid., p. 396.

[12] Claude Lévi-Strauss, lorsqu’il postulait l’échange à l’origine de toutes les prestations économiques et sociales, subordonnait la réciprocité, qu’il avait pourtant reconnue dans son analyse de la prohibition de l’inceste comme la frontière entre la nature et la culture, à une simple règle d’égalité pour ce qu’il croyait fondamental : « l’échange », en se fiant à l’image de l’échange des femmes (qui résulterait de la concupiscence naturelle des hommes pour les femmes). Une réciprocité formelle ou échange réciproque, c’est-à-dire une règle de symétrie des échanges, est ce que Lévi-Strauss proposera explicitement de substituer à la réciprocité vivante, intersubjective, anthropogène ; le mana étant alors réduit à un signifiant vide, un symbole zéro pour justifier l’intérêt propre de chacun des partenaires de la transaction.

[13] Pierre Dardot et Christian Laval, Commun, op. cit., pp. 408-409.

[14] Cf. Dominique Temple, Lévistraussique : La réciprocité et l’origine du sens, 1éd. Transdisciplines, Paris, L’Harmattan, 1997, 2de éd. revue et augmentée : Collection « Réciprocité », n°4, France, 2017.

[15] Pourtant la Physique, dès 1905, découvrait le « contradictoire », aussitôt réduit par le principe de complémentarité (de Bohr) qui force celui-ci à s’actualiser de façon non-contradictoire. Et quelle parenté aurait-on pu à cette époque imaginer entre le Tiers découvert aux limites de la physique classique et le mana des communautés primitives ?

[16] Pierre Dardot et Christian Laval, Commun, op. cit., p. 485.

[17] Ibid., p. 487.

[18] Ibid., p. 486.

[19] Cf. Frédéric Lordon, Imperium. Structures et affects des corps politiques, Paris, La fabrique, 2015. Lire de Dominique Temple (2016) “Frédéric Lordon et l’Imperium”. Essai en huit chapitres, publié dans Frédéric Lordon, Marx et Spinoza, Collection « Réciprocité », n° 11, France, 2018.


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