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juillet 2009

Le marché de réciprocité et l’échange

Dominique TEMPLE

D’un soi à l’autre

Pour quelques théoriciens ce n’est pas l’idéal propre à chacun ni l’attrait d’autrui qui serait la raison d’un enrichissement du soi. Aristote distinguait trois sortes d’amitié : l’amitié fondée sur l’utile dans laquelle l’“autre” est l’instrument du bonheur, l’amitié dans laquelle l’“autre” est la cause de l’émerveillement, enfin l’amitié vraie produite par la rencontre de deux bienveillances réciproques. L’émerveillement devant une fleur, dit en substance le philosophe, c’est l’amour naturel (philein), mais l’amour humain c’est l’amour face-à-face (l’antiphilein).

Le soi est alors le fruit de la réciprocité  (lire la définition) car la réciprocité autorise la relativisation des forces mises en jeu par l’un et par l’autre, et leur transformation en valeur éthique. Cette relativisation réciproque fait en effet apparaître un espace d’indétermination qui ne peut plus être nommé à partir de la catégorie de l’intérêt, car il n’est le propre ni de l’un ni de l’autre. Cet espace devient le lieu où prend naissance non seulement le sentiment de liberté vis-à-vis de la nature, mais aussi les sentiments engendrés par chacune des structures de réciprocité  (lire la définition) fondamentales. Le Soi devient l’expression des valeurs universelles.

Tout homme peut dès lors partager avec autrui une Humanité qui réagit aux épreuves de l’un ou de l’autre et souffrir de son malheur et se réjouir de sa joie. Cet espace, qui permet de s’affranchir des déterminations de la nature, n’est pas vide ou neutre : il est une énergie, l’énergie même de la liberté de la conscience, c’est-à-dire la capacité de s’exprimer à la première personne.

La réciprocité  (lire la définition) est le berceau d’une Parole irréductible à l’expression du moi puisqu’elle est celle d’un sujet qui n’appartient à personne, une Parole qui fonde chacun comme sujet humain.

Aristote et Adam Smith

Nous sommes-nous éloignés de l’Économie Politique avec cette allusion à l’Éthique à Nicomaque ? Dans le livre V de l’Éthique à Nicomaque, Aristote traite de la justice distributive concernant la redistribution des charges, honneurs et richesses, et de la justice corrective qui intéresse les transactions privées pour lesquelles il emploie précisément le terme de sunallagma que l’on peut connoter fortement du sens de relation d’échange. Aristote traite ensuite des conditions appropriées de la justice associée aux sunallagma, les koinonia. Il s’agit des relations de réciprocité sans lesquelles il ne peut se constituer ce que l’on traduirait aujourd’hui par le lien social dû à la réciprocité des dons et éventuellement à la réciprocité de vengeance. Il est même question des trois obligations de donner, recevoir et rendre redevenues célèbres depuis l’Essai sur le don de Marcel Mauss.

« C’est pourquoi on élève aussi un temple aux Grâces qui s’impose à tous afin que de donner à son tour à qui de droit soit pratiqué : car c’est le propre de la grâce ; en effet, il faut rendre service à son tour à celui qui s’est montré gracieux et, à son tour, soi-même prendre l’initiative d’être gracieux » [1].

Adam Smith envisage, comme Aristote, l’Économie à partir de deux principes opposés, la compétition des intérêts et la réciprocité des dons :

« L’homme ne peut vivre qu’en société ; et la nature qui le destinait à cette situation l’a doué de tout ce qui l’y rend propre. Tous les membres de la société humaine ont besoin de secours mutuels et sont exposés également aux injures réciproques. Quand les secours sont donnés par l’affection mutuelle, par la reconnaissance, par l’amitié, par l’estime, la société fleurit et est heureuse. Tous ses membres sont liés ensemble par les doux nœuds de l’amour et de la bienveillance et sont pour ainsi dire attirés vers un centre commun de bienfaisance réciproque. Mais lors même que les secours nécessaires ne sont pas accordés par des motifs si généreux et si désintéressés, lors même que, parmi les différents membres de la société, il n’y a ni amour, ni bienveillance mutuelle, la société n’est pas, pour cela essentiellement dissoute. Elle peut alors subsister entre les hommes, comme elle subsiste entre des marchands, par le sentiment de son utilité, sans aucun lien d’affection : quoique alors aucun homme ne tienne à un autre, par les devoirs ou par les nœuds de la gratitude, la société peut encore se soutenir, à l’aide de l’échange intéressé des services mutuels, auxquels est assignée une valeur convenue » [2].

La recherche du Bien commun

Lorsque l’Économie est fondée sur la réciprocité, elle paraît aussitôt suspendue aux valeurs produites par celle-ci. Ces valeurs se représentent dans l’imaginaire de chaque communauté en fonction de ses conditions d’existence et surtout des modalités d’articulation choisies pour que les différentes structures fondamentales de la réciprocité se distribuent les unes par rapport aux autres en un système cohérent.

Des structures élémentaires de la réciprocité, certaines sont contradictoires entre elles, comme la réciprocité ternaire généralisée  (lire la définition) et la réciprocité ternaire centralisée  (lire la définition) et, selon que l’une domine l’autre, la valeur de référence pour définir le Bien commun sera différente. La difficulté n’est point que le Bien commun ne puisse être défini de façon objective parce qu’il serait prisonnier d’imaginaires différents (l’incompatibilité des imaginaires entre eux renvoyant en réalité à l’intérêt propre de chacun, la difficulté pourrait être tournée par la critique de l’intérêt propre), mais elle est due au fait que le Bien commun est lui-même intrinsèquement différent selon les systèmes de réciprocité  (lire la définition) envisagés.

Lorsque les Jésuites proposèrent aux Guarani du Paraguay de fonder leur société sur la redistribution  (lire la définition) (forme centralisée de la réciprocité généralisée), ceux-ci répondirent qu’ils étaient déjà organisés par la réciprocité généralisée non centralisée. Quel était l’enjeu ? Pas moins que de donner la primauté pour les uns à la foi, pour les autres à la liberté :

« La liberté d’autrefois, je vois qu’elle se perd de discourir par monts et vallées parce que ces prêtres nous assignent à des villages non pour notre bien mais pour que nous entendions une doctrine si opposée aux rites et coutumes de nos aïeux »…

Répond un Guarani, du nom de Nezú, au Père Roque [3].

L’échange

À quel niveau que ce soit du développement de la société, la contradiction se retrouve entre la tentation du repli sur soi, le soi se réduisant alors à l’acquis plus ou moins riche de valeurs, et la réciprocité entendue comme matrice de nouvelles valeurs. Il suffit qu’un individu, une nation, une civilisation décide d’avoir pour objectif premier son intérêt privé, pour obliger autrui à défendre le sien, et que la question de l’autre se pose en termes de rivalité. Si la raison fait entendre aux protagonistes que leur propre intérêt est d’éviter la guerre (raisonnement de Hobbes), l’intérêt devient la motivation la plus immédiate de l’économie. Un seul préalable est alors requis sous l’égide de la raison : que cet intérêt personnel s’inscrive dans le respect d’autrui, c’est-à-dire qu’il soit lui-même géré par une réciprocité minimum (la règle d’Or).

Cette forme paradoxale de réciprocité entre les intérêts des uns et des autres c’est l’échange  (lire la définition) , à ceci près que l’échange tourne la réciprocité en sens inverse de la réciprocité des dons. Paradoxale... car la réciprocité est au moins hospitalité vis-à-vis d’autrui, et l’intérêt privé rejet d’autrui. On comprend alors qu’il existe bien deux ressorts à l’économie politique, ce retour du soi sur lui-même, que l’on appelle l’intérêt propre, et le don pour autrui qui est ordonné au Bien commun.

Personne n’empêche semble-t-il personne de construire l’Économie sur un autre principe que la compétition entre intérêts rivaux. Cependant, ceux dont l’idéal exige le sacrifice de leur intérêt propre se font souvent de cet idéal des conceptions si contradictoires entre elles que leur confrontation est tout aussi redoutable sinon plus que celle des intérêts les plus triviaux… surtout lorsqu’ils imaginent que non seulement leur propre corps peut être sacrifié à cet idéal mais encore celui d’autrui (puisqu’il est tout autant disqualifié que le leur – le corps de l’hérétique ! Il peut être utile, dans ce cas, de recourir à l’échange comme principe de base de l’économie humaine pour… empêcher la guerre… (le doux commerce de Montesquieu).

La réciprocité

Pour éviter la guerre, plus précisément les guerres de religion, les guerres entre idéaux ou imaginaires irréductibles, il faut que l’intérêt pour autrui ne soit pas contraint par une définition a priori de l’humanité ou encore par des valeurs déjà constituées, mais qu’il s’inscrive dans une relation de réciprocité. La réciprocité appelle en effet chacun de ses protagonistes à relativiser son point de vue par celui de l’autre au bénéfice d’un espace de liberté propice à l’apparition de valeurs communes. L’“intérêt supérieur” qui prévaut dès lors n’est plus celui de l’un ou de l’autre, mais est attribué simultanément à l’un et à l’autre.

Un tel “intérêt supérieur” est le Bien commun, une parenté spirituelle, un “Soi” irréductible à l’identité de l’un ou de l’autre. Comme cette “parenté spirituelle” disparaît dès que se rompt la réciprocité, elle est souvent rapportée à une puissance surnaturelle. En réalité, selon la structure de réciprocité considérée, il est sentiment d’amitié, de justice, de responsabilité, etc.

La réciprocité n’est pas seulement la matrice du sentiment d’Humanité, mais dès lors qu’elle est aussi la vie spécifique de “ce que l’homme a de meilleur”, comme dit Aristote, l’intelligence, elle devient la matrice du sens  (lire la définition) pour tout ce qu’elle met en jeu entre ses partenaires. Dans la réciprocité des dons, la chose donnée devient un symbole : le don est une parole silencieuse, parole d’amitié, de paix, d’alliance… Mais si la réciprocité est la matrice de la compréhension, si elle donne sens au don, elle lui impose sa loi, c’est-à-dire à qui donne, d’accepter, à qui reçoit, de donner… les fameuses obligations redécouvertes par Marcel Mauss.

La réciprocité est-elle un principe d’économie politique ? Dans les sociétés présumées les plus proches des sociétés d’origine, la réciprocité mobilise toutes les activités de la vie : nourrir, soigner, protéger… Or, pour entrer en relation de réciprocité avec autrui, il faut tenir compte de ses conditions d’existence, ce que l’on résume par la notion de don. En plus du principe retenu par les économistes pour le libre-échange, l’intérêt pour soi, il existe donc un autre principe d’organisation politique qui induit une économie  (lire la définition) – car pour donner, il faut produire – et que l’on peut nommer l’intérêt pour autrui sous réserve de l’entendre comme réciproque.

Si la sphère de la circulation est régie par deux principes qui se ramènent à l’échange et à la réciprocité, il en est de même de celle de la production : la plupart des êtres humains produisent en effet pour donner et non pas pour posséder.

L’échange dérive-t-il de la réciprocité ?

Certains auteurs tentent de faire apparaître l’échange comme une forme évoluée de la réciprocité, ce qui revient à interpréter la réciprocité des dons comme une forme archaïque de l’économie. La thèse repose sur l’idée de Marcel Mauss que les communautés d’origine, fascinées par le sens qui naît de la réciprocité, mélangeaient relations objectives et subjectives, matérielles et spirituelles. Avec le temps, ces prestations dites totales se scinderaient en relations intersubjectives (de réciprocité pure), à la base du Droit et de la Morale, et relations objectives qui pourraient être soumises à l’intérêt propre des individus.

Dès lors que la paix, la confiance et la compréhension mutuelle sont établies par une forme de réciprocité minimum, les hommes peuvent donner libre cours à toutes leurs envies… À partir du XVIIIe siècle, l’échange s’impose en effet dans les sociétés occidentales. Les transactions entre les hommes ne sont plus envisagées pour les valeurs humaines que la réciprocité engendre mais de plus en plus pour la valeur d’échange, qui par ailleurs se modifie : elle n’est plus un moyen terme entre deux marchandises, mais un pouvoir d’accumulation qui permettra bientôt aux uns de définir le prix du travail des autres à leur avantage.

Aristote distinguait déjà l’échange-pour-le-profit de l’échange-au-service-de-la-communauté, mais alors que dans l’Antiquité le profit était rejeté hors les murs ou confié à des parias et traité en tout cas comme indigne du citoyen, il est désormais justifié comme principe moral, le profit des uns étant supposé enrichir non seulement les uns mais les autres. Pour Adam Smith, par exemple, bien que le riche construise des palais et fasse bonne chère pour lui seul, il doit faire appel aux ouvriers et les payer, de sorte que la production de la valeur bien que travestie en plus-value entraîne la redistribution [4] ; une justification du système capitaliste, que Marx analysera avec plus de rigueur... [5].

L’échange et la réciprocité négative

La Thèse de Mauss sur l’origine de l’échange ne s’inquiète pas d’une forme de réciprocité aussi ancienne que celle des dons, aussi importante sans doute, la réciprocité négative  (lire la définition) , dite encore de vengeance. Que la réciprocité de vengeance et la réciprocité des dons fassent jeu égal dans les sociétés primitives se montre aisément du fait que les compensations et les compositions, qui servent de gages pour fixer les échéances de l’une et de l’autre, sont souvent identiques.

Or, dans certaines communautés de réciprocité soumises par la société occidentale au libre-échange, ce sont les termes de la réciprocité négative qui ont servi à introduire les catégories de la vente et de l’achat. Par exemple, dans la langue guarani du Paraguay, soumise depuis des siècles à la logique de l’économie de marché, le terme “tepy” (hepy) en est venu à signifier “prix” et “vengeance” (« hepy eterei » (c’est très cher) se traduirait par « ta vengeance est très grande » si l’on se référait au sens originel de tepy. « Celui qui impose son prix est comme celui qui se venge », observe Bartomeu Melià [6]. Dès le début de la Colonisation, les Guarani interprétèrent l’échange avec les colons comme un système de vengeance : « La parole “tepy” signifie “paye” et “vengeance” » [7].

Que l’échange économique puisse s’interpréter plus aisément en termes de réciprocité négative que de réciprocité positive rend donc problématique l’idée d’une évolution continue de la réciprocité des dons à l’échange économique. On pourrait tourner cette critique en redoublant l’argument “évolutionniste” : la concurrence des intérêts privés serait une forme évoluée de la réciprocité de vengeance, et l’échange une forme évoluée de la réciprocité des dons. Mais cette façon de voir butte sur la difficulté suivante : dans la réciprocité négative, il faut avoir subi injure, affront, violence, vol ou meurtre pour avoir droit à une vengeance  (lire la définition) . Le Défi révèle à son tour que pour engendrer l’honneur, il faut subir avant que d’agir ou plutôt subir pour pouvoir agir, accepter une violence pour disposer d’une âme de vengeance. Il faut aussi s’interdire d’annihiler l’adversaire puisqu’on doit pouvoir lui redemander l’offense initiale.

Que la réciprocité de vengeance exige de subir avant d’agir, qu’elle exige d’accepter un meurtre pour tuer afin d’inaugurer un cycle de meurtres créateur de sens est explicite dans le code de la vengeance des Géorgiens montagnards que G. Charachidzé [8] considère comme les détenteurs des sources et des traditions du Caucase.

« Chez les Géorgiens, au contraire, seul le contre-meurtre enclenchant la vendetta est tenu pour licite ; on n’a le droit de tuer que si le partenaire a déjà tué. Mais le premier meurtre lui-même est toujours considéré comme accidentel quelles qu’en soient les circonstances » [9].

On ne saurait mieux dire que l’imaginaire de la vengeance est celui de la mort subie plutôt que celui de la mort donnée. La première offense est accidentelle ou dit autrement il est impossible de justifier le premier meurtre (Tu ne tueras point). Mais pour le vengeur qui survit, rien n’empêche de compter les morts subies (par les siens) par les vengeances accomplies (par lui), car c’est de matérialiser sa conscience de vengeance dans un acte qui autorise la reproduction du cycle, et par conséquent la croissance de l’être du guerrier.

Cette dialectique du meurtre est la matrice du kakarma  (lire la définition) , le sentiment d’humanité des Jivaros du Pérou et de l’Équateur [10], et c’est une dialectique comparable qui engendrait le sentiment du divin chez les Tupinambas du Brésil… [11]. Après le premier meurtre, la réciprocité apparaît comme le moyen de juguler la violence et de l’asservir à l’honneur, valeur engendrée donc par la réciprocité négative, équivalent du prestige engendré par la réciprocité des dons.

Il n’est donc pas la même chose de compter comme butin pour accroître son capital les rapts ou vols perpétrés chez autrui ou de ne compter comme justifiés que les vengeances de tels rapts ou vols parce qu’ils rétablissent le sentiment d’être reconnu par autrui (à titre de guerrier ou d’ennemi). On retrouve ainsi la même antinomie entre la concurrence entre intérêts privés et la réciprocité de vengeance, qu’entre échange et réciprocité des dons. Elles sont diamétralement orientées en sens inverse même s’il peut sembler parfois qu’en termes comptables leurs résultats soient identiques.

La concurrence entre les intérêts privés a certes besoin d’une réciprocité minimum pour exister, mais elle renverse en son contraire la réciprocité négative : au lieu que la violence soit justifiée pour celui qui subit l’injure, elle est justifiée par celui qui en prend l’initiative…

Les confusions de l’échange et de la réciprocité

Bien que tout le monde ait l’expérience de la production pour le don, les parents pour les enfants, par exemple, les familles alliées par une relation matrimoniale les unes pour les autres, etc., la raison de l’économie de réciprocité est plus difficile à expliciter que la raison de l’économie d’échange, et les occasions de confusion ne manquent pas.

1) Si l’échange s’ordonne à l’intérêt bien compris de chacun des partenaires, il suppose néanmoins une réciprocité minimum qui permet la compréhension mutuelle ; ce pourquoi il peut être dit réciproque ! Il faut alors préciser que l’échange retourne la réciprocité à l’envers puisque le sens des prestations économiques n’est plus dans l’intérêt pour autrui mais dans son intérêt propre.

2) Si le donataire se sent obligé de redonner, et le donateur de recevoir le contre-don, le risque est grand de confondre cette obligation avec la contrainte qu’exerce l’intérêt privé au cœur de l’échange. Marcel Mauss lui-même prête à cette confusion quand il imagine que si le sentiment du premier donateur n’est pas nourri par un contre-don il se mue en un esprit de vengeance qui signifie, selon lui, l’âme du donateur. En réalité, le don est gracieux mais il s’inscrit dans une relation de réciprocité qui fait obligation au donateur de donner, au donataire de recevoir, et au donataire de redonner et au donateur de recevoir à son tour sous peine que le don n’ait pas de sens et ne puisse donc être entendu comme un geste gracieux.

Mauss observe la substitution de la vengeance à la réciprocité des dons et interprète la vengeance comme le souci de préserver son être propre, voire son intérêt. Le premier donateur s’imaginerait-il être le garant du sentiment d’humanité, et celui-ci lui paraîtrait-il lésé par le non-retour du don ? Ce pourrait être le point de vue des indigènes interrogés par les ethnologues occidentaux, et pas seulement de Mauss lui-même. Le non-retour du don signifie en effet la destruction d’une structure de réciprocité et traduit le refus du donataire de reconnaître au donateur son titre d’Humanité. La vengeance s’interprètera aussitôt comme une autre structure de réciprocité, car à une telle violence contre l’Humanité du donateur, le “contre-meurtre” donne sens : les protagonistes peuvent dès lors se reconnaître comme ennemis à défaut de se reconnaître comme amis.

La vengeance peut-elle donc être interprétée comme l’intérêt de chacun à être reconnu comme humain (l’intérêt supérieur d’Adam Smith) ? Un tel sentiment d’Humanité est un Bien commun et ne saurait se réduire à l’imaginaire du premier donateur. L’erreur de Mauss, si erreur il y a, est la même que celle des économistes : Mauss réduit le Bien commun des uns et des autres à l’imaginaire des uns ou des autres et situe l’origine du Bien commun dans l’imaginaire des individus au lieu de le faire naître de leurs relations de réciprocité [12]. Les valeurs sont imaginées constituées avant les relations entres les hommes, alors que ce sont ces relations qui sont constituantes de ces valeurs.

3) Enfin, si les dons réciproques tendent à satisfaire les conditions d’existence des uns et des autres, et si l’échange satisfait également les conditions matérielles des uns et des autres, le résultat final semble le même, de sorte qu’un expert de l’économie d’échange qui mesure des biens matériels se trouverait habilité à réduire la réciprocité à un échange.

Que la réciprocité promeuve entre les partenaires un lien social d’amitié, de justice, de responsabilité, de confiance, etc. (selon la structure de réciprocité considérée) qui ne se compte pas en termes matériels semble dès lors relever d’une discipline non économique si l’on ne prend en compte sous le terme d’économique que ce qui peut être mesuré de façon matérielle. Il ne s’agit plus ici seulement de confusion entre échange et réciprocité, mais de réduction de la réciprocité à l’échange.

Le principe d’équivalence et le marché de réciprocité

La réciprocité des dons et l’échange vont conduire à des principes de justice différents : l’équivalence de réciprocité et l’équilibre de l’offre et de la demande.

Le principe d’équivalence signifie que la production de chacun s’adapte aux besoins de tous. Le partage est la pratique la plus commune pour définir la quantité que chacun doit à chacun. Cependant, sur les marchés ce n’est pas le partage qui domine, mais plutôt la réciprocité généralisée, chacun donnant à quelques partenaires et recevant de leur part.

Deux sentiments prévalent dans la réciprocité généralisée : le sentiment de responsabilité et le sentiment de justice. Ce qui peut se donner à chacun varie certes selon les communautés et donne donc naissance à des mesures différentes ainsi qu’à des équivalents de réciprocité différents [13], mais les communautés tendent à la réciprocité entre elles, et les équivalents de réciprocité les plus communs deviennent bientôt des références pour le marché intercommunautaire : les monnaies de réciprocité  (lire la définition) .

Dans les sociétés non-occidentales, la réciprocité est le ressort le plus important de la circulation et de la production des biens. Le principe d’équivalence domine celui de l’offre et de la demande. Les marchés des Andes sont typiques à cet égard, souvent divisés en plusieurs secteurs où se pratiquent ici troc et échange monétaire, là don et réciprocité, le même personnage pouvant changer de costume lorsqu’il change de quartier, ici vêtu à l’occidentale pour l’échange, et là de son poncho traditionnel pour la réciprocité… Où se pratique la réciprocité, le commerçant prend soin d’indiquer l’équivalence par le souci très précis du prix juste, au centime près même pour des sommes très importantes parce que le centime près témoigne du prix juste et celui-ci du respect d’autrui (valeur spécifique de la réciprocité symétrique  (lire la définition) ), puis il ajoute une part de don (la “yapa”) pour signifier un choix délibéré en faveur de la réciprocité positive, et donner au respect la plus-value de l’amitié. Le don est proportionnel à la qualité du client. Ce dernier appelle aussitôt son partenaire commadre ou compadre.

Que l’on aille à présent en Afrique et l’on constate la même chose, y compris lorsque la transaction est effectuée par des populations qui ne font métier que du commerce comme les Dioula chez qui le don d’amabilité s’appelle “condo”. La prestation est l’occasion de longues discussions (la palabre) qui tournent tout autant autour du prix de la chose que de l’estime réciproque que les contractants sont en train de nouer. Et si le don est parcimonieux, l’acquéreur se plaint de ne pas être aimé. Sur les côtes africaines où le marché doit se confronter avec le Libre-échange, le don (le condo) devient symbolique mais signifie davantage la logique de la réciprocité qu’une invite à l’échange.

Même sur les marchés occidentaux où le Libre-échange s’impose et la concurrence fait loi, le don d’amabilité témoigne souvent qu’il est aussi important pour le commerçant d’avoir des relations d’amitié avec autrui que de satisfaire son intérêt propre. Que les marchés de réciprocité  (lire la définition) n’aient pas les mêmes finalités que les marchés d’échange se voit aisément : sur les premiers, les producteurs, commerçants et clients se présentent les uns aux autres et nouent entre eux des relations qui sont souvent festives. Au marché de Ouagadougou, par exemple, la fête est perpétuelle, chaque “quartier” l’organisant à sa manière. Les hommes et les femmes se montrent et pour cela se parent, souvent de façon magnifique, car ils ont le sentiment de mettre en jeu leur dignité et leurs valeurs morales. Sur les marchés africains, les jeunes femmes vont au marché pour se montrer. Et sur les marchés andins, les plus âgées y vont pour tenir leur rang.

Sur les marchés d’échange, seules comptent aujourd’hui les tractations en valeur d’échange, et les hommes n’apparaissent pas ou le moins possible, et tout lien social de nature éthique est de plus en plus considéré comme une entrave au calcul en vue du seul profit.

L’articulation du don et de l’échange : le quiproquo historique

La nuance du don d’amabilité est-elle importante ? À quoi sert-elle si le don ne remet que très légèrement en cause l’égalité matérielle aussi bien réalisée par l’échange que par la réciprocité ? Quelle différence veut-elle indiquer ?

Dans l’économie d’échange, l’enjeu est de vendre le plus cher possible, pour autant que le permet la concurrence, une production obtenue au moindre coût, alors que dans la réciprocité chacun tente de mettre la production la plus qualifiée à la portée d’autrui. La structure de prix engendrée par ces deux motivations est l’inverse l’une de l’autre. Mais la concurrence ne joue-t-elle pas de façon à faire baisser les prix, et l’échange pourvu qu’il soit concurrentiel n’a-t-il pas le même résultat que la réciprocité des dons ?

On s’aperçoit que le résultat n’est pas identique lorsque les deux systèmes sont articulés l’un sur l’autre, car alors les deux motivations de l’appropriation privée et du don s’ajoutent pour transférer les biens matériels en faveur de l’échangiste au détriment du donateur.

La notion d’échange inégal, invoquée dans le cadre d’une analyse marxiste pour expliquer le transfert de la valeur au bénéfice des occidentaux, serait sans doute tout à fait pertinente si tous les producteurs travaillaient pour l’échange, mais elle se révèle en partie au moins inadéquate dès lors qu’une part d’entre eux produisent pour la réciprocité.

Dans l’échange inégal, le plus favorisé s’enrichit au détriment du moins favorisé contre la volonté de ce dernier, tandis que dans le quiproquo historique  (lire la définition) le donateur contribue volontairement à l’enrichissement de l’échangiste tant qu’il le considère comme un autre donateur.

La critique classique soutient que le donateur est en réalité contraint par l’échangiste à l’échange inégal grâce à une épreuve de force. Certes ! mais on observe aussi une forme de résistance paradoxale au marché capitaliste à l’initiative du donateur : les Indiens de Bolivie, par exemple, sollicités par une Organisation Non Gouvernementale qui leur assurait des prix nettement supérieurs à ceux du marché local, réservaient la part la meilleure de leur récolte à leurs clients traditionnels, et la mauvaise part à l’organisation, et ce jusqu’à la mettre en faillite. Pourquoi préféraient-ils les relations de réciprocité aux relations d’échange alors que l’organisation internationale leur garantissait un échange fructueux ? La question paraît insoluble si l’on ne désigne par valeur que la valeur d’échange, et si l’on refuse d’ouvrir le débat sur une autre visée que celle du profit. Ne serait-ce donc pas que ces hommes ont une autre notion de la valeur que les capitalistes, et qu’ils entendent préserver des structures génératrices de valeurs qui pour eux ont plus de sens que la valeur d’échange, ici précisément les sentiments qui les unissent les uns aux autres dans une culture andine ?

Les capitalistes jugent ce comportement anti-économique parce qu’ils restreignent la définition de l’économie à ce qui se mesure de façon matérielle…

La reconnaissance sociale et le prix juste

Sur le haut plateau des Andes on raconte l’histoire d’une jeune fille qui portait ses œufs au marché local. Les compadres les revendaient de proche en proche jusqu’à la capitale. À un économiste des États-Unis d’Amérique du Nord qui lui proposait de tout lui acheter au double du prix, parce qu’il avait les moyens, disait-il, de supprimer les intermédiaires, elle répondit :

« Et que deviendrai-je, si je n’ai plus de raison d’aller au marché ? Veux-tu que plus personne ne me reconnaisse ? »

La raison de la réciprocité apparaît : la reconnaissance sociale ; la réciprocité crée la situation d’où émerge le sujet de chacun comme Humanité.

Au premier rang des valeurs produites par la réciprocité on doit mettre le sentiment de justice : les manifestations populaires contre la pauvreté dans les Andes expriment cette exigence : « nous voulons un prix juste ». Le prix juste est le prix que l’on peut consentir et non pas le prix imposé par celui qui est en position de force. Il est déterminé par le principe d’équivalence, et non par l’équilibre de l’offre et de la demande. La revendication du prix juste est la revendication d’une réciprocité généralisée.

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Notes

[1] Aristote. Éthique à Nicomaque. V, 8, 1132 b 33 et V v 6-7).

[2] SMITH, Adam. (1759) Théorie des sentiments moraux. Dernière édition augmentée en 1790. Paris : PUF, Coll. Leviathan, 1999.

[3] Cf. MONTOYA, Antonio Ruiz (de). Conquista espiritual hecha por los religiosos de la Compañía de Jesús en las Provincias del Paraguay, Paraná, Uruguay y Tape. Madrid : Impr. del Reyno, 1639. Réed. Asunción de Paraguay (1876), réed. 1996. Lire aussi de TEMPLE, D. (1999) “L’imaginaire et le symbolique : Le Péché de l’ange”. In Teoría de la Reciprocidad. La Paz : Padep-Gtz, 2003.

[4] « Les jouissances de la grandeur et de la richesse, quand nous les considérons ainsi d’une manière complète, frappent l’imagination comme quelque chose de noble, de grand et de beau, qui mérite tous les travaux et toutes les peines nécessaires pour l’obtenir. Il est heureux que la nature même nous en impose pour ainsi dire à cet égard ; l’illusion qu’elle nous donne excite l’industrieuse activité des hommes et les tient dans un mouvement continuel. C’est cette illusion qui leur fait cultiver la terre de tant de manières diverses, bâtir des maisons au lieu de cabanes, fonder des villes immenses, inventer et perfectionner les sciences et les arts, qui élèvent et charment l’existence. C’est cette illusion, surtout qui a entièrement changé la face du globe ; qui a converti des forêts incultes et sauvages en plaines fertiles et riantes, qui a fait de l’Océan désert et stérile une source de richesses inconnues et la grande route de communication entre tous les peuples de la terre. Ces travaux des hommes ont forcé la terre à doubler sa fécondité première et à nourrir un plus grand nombre d’habitants. Ce n’est pas sans dessein que la nature laisse l’insensible et orgueilleux propriétaire parcourir d’un œil avide ses vastes domaines et consumer en imagination le produit des riches moissons qui les couvrent sans penser un seul moment aux besoins de ses semblables. C’est lui surtout qui justifie ce proverbe vulgaire : l’œil est plus avide que le ventre. L’estomac du riche n’est pas en proportion avec ses désirs et il ne contient pas plus que celui du villageois grossier. Il est forcé de distribuer ce qu’il ne consomme pas à l’homme qui prépare de la manière la plus délicate le peu de mets dont il a besoin à celui qui construit et dispose le palais qu’il habite à celui qui choisit et qui soigne les bagatelles et superfluités dont l’assemblage compose sa magnificence ; et tous ceux qui satisfont à ses plaisirs et à son luxe tirent de lui cette portion de choses nécessaires à la vie, qu’ils auraient en vain attendue de son humanité ou de sa justice. Le produit du sol nourrit constamment presque tous les habitants qui le cultivent. Les seuls riches choisissent dans la masse commune ce qu’il y a de plus délicieux et de plus rare. Ils ne consomment guère plus que le pauvre ; et en dépit de leur avidité et de leur égoïsme (quoiqu’ils ne cherchent que leur intérêt, quoiqu’ils ne songent qu’à satisfaire leurs vains et insatiables désirs en employant des milliers de bras), ils partagent avec le dernier manœuvre le produit des travaux qu’ils font faire. Une main invisible semble les forcer à concourir à la même distribution des choses nécessaires à la vie qui aurait eu lieu si la terre eût été donnée en égale portion à chacun de ses habitants ; et ainsi, sans en avoir l’intention, sans même le savoir, le riche sert l’intérêt social et la multiplication de l’espèce humaine. La Providence, en partageant pour ainsi dire la terre en un petit nombre d’hommes riches, n’a pas abandonné ceux à qui elle paraît avoir oublié d’assigner un lot, et ils ont leur part de tout ce qu’elle produit. Pour tout ce qui constitue le véritable bonheur, ils ne sont inférieurs en rien à ceux qui paraissent placés au-dessus d’eux. Tous les rangs de la société sont au même niveau, quant au bien-être du corps et à la sérénité de l’âme, et le mendiant qui se chauffe au soleil le long d’une haie possède ordinairement cette paix et cette tranquillité que les rois poursuivent toujours. » SMITH, A. Théorie des sentiments moraux, op. cit.

[5] Selon Jean-Michel Poughon, l’idée que la recherche du gain soit la cause déterminante des contrats remonte à Connan (1558), mais c’est à partir de Grotius qu’elle s’impose (1746) ; cf. POUGHON, J.-M. Histoire doctrinale de l’échange. Paris : Librairie Générale de Droit et de jurisprudence, 1987.

[6] MELIÀ, Bartomeu. El Guaraní conquistado y reducido. Ensayo de etnohistoria. Biblioteca Paraguaya de Antropología, vol. 5. Asunción, Centro de Estudios Antropológicos de la Universidad Católica, 1986, 2da edición, 1988. Lire aussi de TEMPLE, D. “Origine du Marché de réciprocité négative”. Publié en espagnol dans Teoría de la Reciprocidad. La Paz : Padep-gtz, 2003.

[7] Cf. MELIÀ B. & D. TEMPLE. El Guarani en fiesta. Sobre la economía de reciprocidad, el precio de la venganza y otras formas de economía (à paraître).

[8] CHARACHIDZÉ, Georges. “Types de vendetta au Caucase”. In VERDIER & Coll. La vengeance. Tome II La vengeance dans les sociétés extra occidentales. Paris : éditions Cujas, 1980.

[9] CHARACHIDZÉ, G. “Types de vendetta au Caucase”, op. cit., Vol. 2, p. 94.

Lire de TEMPLE, D. Chap. 4. “La genèse de la valeur dans la réciprocité négative”. In “La réciprocité de vengeance. Commentaire critique de quelques théories de la vengeance”. Publié en espagnol dans Teoría de la Reciprocidad. La Paz : padp-gtz, 2003.

[10] Cf. TEMPLE, D. & M. CHABAL, “La réciprocité négative chez les Jivaros”. In La réciprocité et la naissance des valeurs humaines. Paris : l’Harmattan, 1995.

[11] Cf. TEMPLE, D. “La réciprocité négative chez les Tupinamba”. Version française du chapitre “El nombre que viene por la venganza”. In MELIÀ Bartomeu & Dominique TEMPLE : El don, la venganza y otras formas de economía guaraní. Centro de Estudios Paraguayos Antonio Guasch, Asunción de Paraguay, 2004.

[12] Les premiers théoriciens du Libre-échange, luttant contre le despotisme et la monarchie, désiraient évidemment soutenir la dignité de l’individu… Mauss apporte une précision importante : l’imaginaire de chacun dépend de celui des autres selon des relations précises : le mana du donateur est l’inverse de celui du donataire, il est distinct mais apparenté au mana de la chose donnée et au mana de la relation qui unit le donateur et le donataire, lequel paraît être un esprit. Il manque à Mauss de reconnaître que le mana est produit par la structure de réciprocité.

[13] L’an 1783, les Consuls, habitants, bientenants et contribuables de la barronie de Montpaon, près de Fondamente (entre Millau et Saint-Affrique dans le Sud de la France), « S’étant mis à genoux, revêtus de leurs chaperons, tête nüe, devant noble François de Faure de St Maurice, baron du dit Montpaon (…) ont supplié ledit seigneur baron de permettre que le genre des poids et mezures (…) soient suffisamment expliqués d’une manière qui soit intelligible à leur postérité. Et ledit seigneur déférant à leur prière a consenti qu’il soit inséré dans la présente pour servir de règle à perpétuité dans toute l’étendue de la baronnie : (…) que la sétérée est divisée en 4 cartes, et la carte en six punières, que conséquemment 225 canes composent la carte, et 37 cartes et demi composent la punière. Que la carte est encore divizée en 4 boisseaux et le boisseau composé de 56 canes et demi, le tout cane carrée. Qu’ensuite la punière et le boisseau se divisent en demi, tiers, cart et demi-cart. Que la mezure des grains, froment, seigle, orge, palmoule et légumes est connue sous la dénomination de setiers, émines, cartes, cartons et punières. Le setier composé de deux émines, l’émine de 2 cartes, la carte de 2 cartons, le carton de 3 punières, et la carte de froment doit communément pezer de 35 livres chacune de 16 onces. Que la mezure d’avoine est connue par la même dénomination avec la différence que le setier est composé de 6 cartes ou 6 ras, conséquament la carte ou le ras sont deux mots sinonimes. Et l’émine faisant toujours la moitié du setier, elle se trouve en fait d’avoine composée de 3 cartes razes, la carte de 2 cartons et le carton de 3 punières. Que les mezures du vin soient connues sous le nom de miech, feuillette et truquette, que le miech doit peser trois livres et est composé de 2 feuillettes, et la feuillette de 2 truquettes ; conséquament la truquette doit peser 3 cartes, les quatre faisant la livre, Que les mezures pour le détail de toutes sortes de marchandises quelconques sont connues par la dénomination de canes, demi-canes, aunes, demi-aunes, pans, demi-pans et cart de pan, la cane étant composée de 8 pans, la demi-cane de 4 pans, l’aune de 5 pans et cart, et la demi-aune, de 2 pans et cart et 1/8ème de pan, chaque pan de 9 pouces 3 lignes… »

(À la Martinerie de Montpaon, on utilise les poids et mesures de Millau différents de ceux de Rodez. La livre de Rodez = 245 livres pour 100 kg soit une livre = 408 g = 5/6° de la livre de poids de Paris = 490 g. La livre de Millau = celle de Montpellier = 242,5 livres pour 100 kg., soit 1 livre = 416 g. Millau utilise aussi parfois la livre de Beaucaire-Nîmes de 413 G. Une livre = 16 onces : à Rodez, 1 once = 25 grammes (40 à 41 au Kg), à Millau, 1 once = 26 grammes (38 à 39 au kg.) Cf. Antoine TEMPLE (historien) Les Boyer, De la Martinerie (Saint Germain) et Montpaon (Fondamente). (1650-1914). Tome 1, 1999.

C’est clair, il faut entrer dans la communauté pour qu’une langue commune donne sens à ses prestations. Le texte poursuit en précisant ce qui est dû au baron, lequel est chargé de la protection de la baronnie contre l’ennemi : une fois dans la communauté, les équivalents ne se discutent pas !


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