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avril 2017

La transition de l’économie post-capitaliste. Le plafonnement du profit et le dividende universel

Dominique Temple

  

Si l’accumulation capitaliste conduit la terre à la désolation, la société à l’implosion, n’est-il pas temps d’intervenir ? Et si le travail est dénaturé par son assignation au profit, n’est-il pas temps de l’en affranchir ? Enfin, si l’individualisme identifié à la privatisation de la propriété nous a dressés les uns contres les autres, ne doit-on pas redéfinir l’individuation du sujet en rapport avec la conscience commune qui prodigue à tout homme sa dignité de citoyen, et ne doit-on pas reconnaître à tout le monde la propriété universelle de la nature et la propriété sociale comme la liberté réelle à laquelle tout le monde a droit ? Dès lors, le dividende universel et le plafonnement du profit sont le plancher et le toit de la maison commune.

Le plafonnement du profit

L’écologie politique voudrait soustraire à l’exploitation capitaliste un certain nombre de territoires naturels. Elle espère sauvegarder quelques ressources de la planète : les océans, la forêt, les animaux… Cela équivaut à poser une limite au champ du profit. Mais comment définir cette limite ?

Elle n’est envisageable que si l’on imagine un champ d’activité où puisse se déployer une autre économie que l’économie capitaliste, parce qu’à l’intérieur de celle-ci tout plafonnement du profit freinerait ou condamnerait à l’arrêt de leurs activités les entreprises les plus performantes. Par contre, là où existe une économie de réciprocité, protégée par une interface, cette limite devient féconde parce qu’elle permet à l’entreprise qui l’atteint de poursuivre son investissement dans le champ de la réciprocité. La finalité de l’investissement est modifiée : le bien public se substituant au bien privé. Le profit est relayé par le prestige social. Autrement dit, l’entreprise capitaliste se convertit en entreprise publique, sous la responsabilité de son chef d’entreprise. Le plafonnement du profit transforme l’investissement lucratif en investissement social ; la propriété privée en propriété universelle ; la concurrence en émulation ; le pouvoir d’asservir en pouvoir de servir. Rien ne prouve que les chefs d’entreprise ne soient pas plus heureux de servir que de se servir, et de devenir plus humains plutôt que des brutes.

Le dividende universel

Le capitalisme subordonnait jusqu’à présent l’information, l’éducation, l’enseignement, la recherche scientifique, la critique et même l’art, à la propriété privée. Qui maîtrisait l’information… disposait du pouvoir. L’information, matière première de la pensée, est désormais à la disposition de tous instantanément et sans limites. L’Internet constitue également une mémoire universelle. Par la participation de chacun à l’élaboration de la pensée commune, et par l’accès à la pensée des autres, s’amorce une conscience universelle. Grâce à la révolution informatique, tout le monde ou presque est en situation d’agir où qu’il se trouve en termes de libre-échange, mais aussi en termes de réciprocité généralisée. Aujourd’hui, la technique informatique récuse l’irrationalité des individus. Mieux ! pour permettre à tous les humains de vivre ensemble, elle exige le principe de réciprocité.

Mais cela ne modifie pas la situation de façon définitive car la propriété des moyens de production demeure entre les mains des capitalistes. Et la dynamique de l’exploitation ne change pas. La bourgeoisie, qui imposa d’abord que toute la plus-value se convertisse en profit, consentit au prolétariat un bénéfice après la crise de 1929 et la deuxième guerre mondiale, mais à la condition que sa consommation contribue à la croissance du capital. Aujourd’hui, par la soumission de l’État au marché financier, elle s’assure que l’économie sociale ne jouisse d’aucune autonomie ou liberté d’expression qui ne soit sous contrôle du capital. La privatisation de la propriété conditionne toujours l’économie sociale et la fonction publique. Néanmoins, le prolétariat a converti une partie de ses acquis en prestations de réciprocité : les conventions collectives, le salaire minimum, la sécurité sociale, les allocations familiales, la retraite, la limite du temps de travail, les congés payés… Ces acquis doivent être dits irréversibles par la prochaine Constitution.

Face à la privatisation de la propriété qui conduit au travail forcé des plus démunis, la liberté du travail pour tous exige les moyens qui lui sont nécessaires, c’est-à-dire une propriété sociale minimum. C’est l’objectif du dividende universel, de l’allocation universelle ou du revenu minimum inconditionnel… Il s’agit de rendre à chacun les conditions d’autonomie qui lui permettent de refuser l’aliénation de sa puissance de travail dans des conditions inacceptables, et de disposer de ses compétences en toute liberté pour les mettre au service de la communauté. L’allocation universelle a été proposée lors de la Révolution française par Thomas Paine [1] comme un dû de la société à ceux qu’elle privait du droit d’accès aux conditions de la vie naturelle. Elle est développée aujourd’hui comme un dividende universel dû à tout citoyen du fait de sa naissance dans une communauté où il assume son rôle de citoyen. Mais dans le cadre de l’économie actuelle, elle est refusée par les nantis qui craignent qu’elle ne soit utilisée pour combattre leurs privilèges. Tout change lorsque l’on envisage les choses du point de vue d’une économie de réciprocité généralisée. Il n’est personne qui recevant les moyens de faire valoir ses dons et ses compétences ne désire naturellement les faire fructifier. Le dividende universel et le plafonnement du profit apparaissent comme le plancher et le toit de la maison commune où la réciprocité permet à la société de produire les valeurs fondamentales de l’humanité, la liberté et l’égalité réelles promises formellement par la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme.

La propriété universelle

Tout le monde conviendra qu’une société incapable de garantir à ses citoyens les conditions d’existence que lui offrait la nature (la gratuité des biens premiers), n’est pas digne d’être dite humaine. Ces biens, que l’on désigne de façon emblématique l’air, l’eau, la terre, le soleil sont les ressources nécessaires à la vie des hommes. Ils étaient jadis en quantité inépuisable. Ils sont désormais en quantité limitée, de plus en plus exploités au profit d’une part de plus en plus restreinte des hommes y compris au sein des sociétés les plus riches. Il est donc impératif qu’ils soient retirés du champ de la propriété privée, et restitués à tous (la propriété universelle) : les ressources que la nature assure à l’homme ne peuvent être que partagées.

La propriété sociale

Le raisonnement qui vaut pour la nature vaut aussi pour les biens créés par le travail. Tout le monde conviendra qu’une société incapable de répartir entre tous les bénéfices de ses inventions est injuste. L’éducation, l’enseignement, l’information, la protection sociale… appartiennent à la société (la propriété sociale). « Mais la réciprocité, n’est-ce pas ce que nous pratiquons, nous, médecins, enseignants, dans la société civile, le service public, et dans nos commerces ou nos entreprises, de façon empirique ? » Eh bien ! Que le principe de réciprocité soit désormais actualisé de façon rationnelle et que les structures fondamentales (notamment le partage et le marché de réciprocité) soient dotées d’une territorialité protégée par une interface institutionnelle, et pourvues de la propriété de leurs moyens de production. Les valeurs créées par les uns ou les autres ne s’affronteront plus de façon aveugle, mais s’harmoniseront ! Nous en avons aujourd’hui à l’évidence la possibilité technique : en raison, grâce à la théorie de la réciprocité, et de façon pratique grâce à la révolution numérique.

On répondra que si c’était si simple, il y a longtemps que cette transformation eut été accomplie par la société. Mais ce n’est pas si simple ! Il a fallu les découvertes conjuguées de la physique et de la biologie modernes pour que seulement de notre temps il soit possible de lever les obstacles épistémologiques à une conception de la vie et du travail qui ne relève plus de la seule définition qu’en autorisait la physique classique, et sur laquelle s’est construite l’économie capitaliste : le rapport de force.

Un effort est encore nécessaire pour que la philosophie politique prenne en compte les sciences nouvelles qui permettent de comprendre comment se produisent les valeurs éthiques, et plus précisément les sentiments de liberté, de justice, de confiance et de responsabilité, qui sont la raison majeure de la vie en société.


Mis en ligne par Paul Jorion sur son Blog, le 13 avril 2017.
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Notes

[1] Cf. Thomas Paine, in La revue du M.A.U.S.S. semestrielle n° 7, premier semestre 1996, “Vers un revenu minimum inconditionnel ?”


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