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janvier 2009

3. La réciprocité, matrice du sens

Dominique TEMPLE

Le contradictoire engendré par la réciprocité : le sentiment de liberté !

Le relais de la philosophie aristotélicienne par la physique moderne nous a permis d’introduire le principe d’antagonisme qui fonde la Logique du contradictoire mais aussi une nouvelle théorie de la connaissance (La « Théorie de la connaissance » de Stéphane LUPASCO). La relation du réel et de sa représentation s’en est trouvée éclairée.

Le relais de la physique et de la logique par la physiologie neuronale nous a permis de concilier le quantique et le psychique ; les “potentialités antagonistes” (et dites “complémentaires” par le physicien) ont été rapprochées des consciences élémentaires  (lire la définition) qui forment l’horizon de la perception. Mais, également, l’approche de l’affectivité a été renouvelée : l’absoluité de l’affectivité a pu être interprétée comme ce qui est de nature contradictoire. L’affectivité est apparue comme le produit de la complexification par le système nerveux de ce qui est en soi contradictoire. Ces résultats permettent une nouvelle avancée : nous allons préciser les caractères du contradictoire lorsqu’il est produit dans une structure de réciprocité.

Je reprends notre réflexion à partir du petit tableau au mur de notre mémoire : « Celui qui agit doit subir ».

Voici que la réciprocité crée du contradictoire en chacun d’entre nous. Mais ce contradictoire n’est pas de même structure que celui créé par les cellules oscillantes de notre système nerveux ou par la membrane cellulaire entre l’intérieur et l’extérieur ou par l’interface entre la vie qui anime la biche et la mort qui la guette ou encore l’interface entre nos sensations à l’origine de sentiments dont nous ne savons pas grand chose encore. Du moins, pas tout à fait de même nature ! Et c’est là l’originalité de la réciprocité par rapport à toutes les structures génératrices que l’on peut imaginer d’une interface contradictoire.

Dans la réciprocité, je ne puis subir que si autrui agit, et je ne peux agir que si autrui subit. Je ne puis agir et subir en même temps et me trouver dans une situation contradictoire que si l’autre subit et agit en même temps.

Dès lors, autrui est une condition préalable à mon expérience et il en fait partie comme condition essentielle. Le contradictoire qui naît de l’interaction avec autrui n’est donc pas le même que celui qui naît spontanément dans mon système psychique, lequel est constitutif de mon seul moi biologique.

Le contradictoire né de la réciprocité est révélation de la conscience de conscience à elle-même, mais de telle façon que ce qui est mis en jeu par moi est relativisé par ce qui est mis en jeu par autrui. La conscience de conscience ainsi construite est donc celle d’une liberté de la conscience par rapport à moi et par rapport à autrui. Cette liberté est par son efficience un Sujet qui m’anime désormais autant que l’autre, c’est-à-dire qu’il est la conscience qui se révèle à elle-même comme instance de liberté absolue vis-à-vis de moi et d’autrui mais – pour autrui et pour moi – comme notre propre conscience humaine.

Figure 1
Figure 1
Légende : On peut dire que l’homme est une personne en deux natures : une nature qui est celle qu’il met en jeu dans la réciprocité, l’autre celle qui naît de la réciprocité avec autrui. Les deux natures signifient ici la dialectique entre ce qui est mis en jeu dans la réciprocité pour engendrer la vie spirituelle et l’efficience de cette seconde nature qui donne sens à la première, c’est-à-dire au monde dont elle est issue.

L’efficience de cette liberté pure est ce que je crois pouvoir appeler la volonté : la volonté a donc son siège en chacun de nous, mais elle appartient à une liberté qui nous dépasse puisque cette liberté-là appartient à tous. L’homme est apparu d’un coup, dit Lévi-Strauss, à partir de ce qu’il nomme l’altérité, mais il faut ajouter dès lors que celle-ci fut relative à une identité commune pour créer une instance contradictoire qui n’appartienne à personne, soit la conscience de tous pour tous, grâce au truchement de la réciprocité

Disons que si le contradictoire “n’existe pas” dans la nature que nous connaissons, il fait partie du “sur-naturel”, et que si la conscience affective en tant que manifestation de l’absolu est une révélation dont la structure est contradictoire, elle apparaît comme non seulement le surnaturel mais ce que d’aucuns d’entre vous appellent le divin ou encore le mystère. C’est pourquoi l’on peut dire que la réciprocité est la matrice du divin dans l’homme. Ce qui se dit à l’envers puisque c’est la conscience qui parle et non pas la nature (le divin à l’origine de la nature).

Or, si la réciprocité nous semble dès à présent être la matrice ou le siège d’un tel événement, on imagine aisément qu’elle ait pu être à l’origine de toutes les sociétés et même de toutes les aventures humaines. Les Traditions les plus anciennes insistent sur l’idée que la révélation a pour siège une relation inter-individuelle. Elles situent l’altérité dans l’autre et non pas dans la différenciation organique. Ces Traditions ont bien soin de faire naître la révélation, c’est-à-dire la conscience pure, entre les hommes et non pas dans les hommes. Elles soulignent qu’il ne s’agit pas d’une relation entre l’homme et l’homme, qui serait de même type que la relation de l’homme et du monde, mais au contraire que le monde n’est d’aucune aide à l’homme, comme dit encore la genèse : il n’y a pas naissance de la conscience entre l’homme et l’animal. L’animal n’est d’aucune aide.

En effet, je ne puis créer le contradictoire de donner et recevoir par moi-même, car si je dois recevoir je dois recevoir d’autrui, et je ne peux donner si autrui ne reçoit. Je ne puis donc créer par moi-même le contradictoire qui se crée dans la relation de réciprocité. Celui-ci est la résultante d’une structure dont autrui est la condition sine qua non.

C’est donc la réciprocité qui est ici proposée comme l’origine de toutes les sociétés humaines ; c’est-à-dire des sociétés dont la conscience est une conscience d’elle-même et une référence pour tous.

Je crois que l’on peut préciser que le vivre ensemble, qui donne à la conscience affective une dimension universelle, répond à une définition précise. L’universel ne peut se réduire à la généralisation d’un impératif catégorique individuel. Même dans une communauté de réciprocité réduite au face-à-face de deux individus, il y a plus d’universel que dans un sentiment de sympathie fut-il réparti dans tous les êtres humains. C’est ce dont témoigne, me semble-t-il, le fait que tous les hommes qui vivent en communautés de réciprocité se disent immédiatement « nous voici les vrais hommes ».

L’universel est le fait que la liberté s’échappe de tout conditionnement, de toute attache singulière, s’élève comme la flamme au-dessus du bois qu’elle consume, parce qu’il est produit à partir d’une relation entre les hommes très précise : la réciprocité.

La conscience, comme “révélation d’elle-même”, n’est pas seulement passive, seulement “dévoilement”, comme cela se produit parfois (et nous l’avons vu avec la page blanche de Lupasco qui se couvrait de signes, lui dévoilant la logique de la systémogenèse de l’esprit), elle n’est pas seulement réceptivité mais elle est activité puisque comme toute autre énergie elle est efficiente. Cette efficience est revendiquée comme volonté par chacun des hommes vis-à-vis des autres.

C’est peut-être pourquoi les grandes Traditions mettent au commencement une structure trinitaire  (lire la définition) . Elles reconnaissent les deux protagonistes de la réciprocité comme fondement de l’humanité au travers de la notion d’altérité  (lire la définition) (ou encore de la prohibition de l’inceste), mais elles ajoutent l’efficience de la conscience affective (de l’absolu) qui en est le fruit comme ce qui leur communique leur deuxième nature. Immédiatement, la conscience en question se nomme donc soi-même l’humanité et sort ainsi de l’absolu par la parole. Rappelons l’Essai sur le don de Marcel Mauss qui découvrit que dans les communautés archaïques – et donc comme on peut le présumer dans les communautés humaines originelles – toutes les prestations possibles et imaginables sont intégrées dans la réciprocité, ce que Mauss appelle les prestations totales  (lire la définition) , pour y acquérir un sens.

Revenons à présent sur deux points.

On peut soit affirmer la primauté de la liberté et de la parole qui l’exprime parce qu’elle apparaît comme l’absolu (la Toute Puissance de la fonction symbolique), mais on peut aussi bien affirmer que cette même liberté naît de la nature, plus précisément de l’entre deux corps comme émergence du contradictoire à partir de la relativisation des contraires, et qu’elle se déploie grâce à la réciprocité comme la chose la plus fragile et vulnérable qui soit au monde : la vulnérabilité de l’être humain.

Mais il est un autre point important : on peut, au nom même de la liberté qui résulte de la relativisation des contraires, refuser à cette même liberté de dire la Loi. Déjà, on peut deviner que la théorie de la réciprocité proposera à la question difficile de la violence du symbolique un avenir sans compromis avec la force.

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