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janvier 2009

2. La science et le contradictoire

Dominique TEMPLE

Les précisions de la physique moderne sur le contradictoire et le non-contradictoire

Ancrer la notion de contradictoire dans la tradition philosophique est sans doute une précaution nécessaire puisque la notion de contradictoire est des plus énigmatiques, mais nous ne pouvons espérer préciser l’enjeu de la réciprocité que si nous pouvons apporter à cette notion de nouvelles propriétés qui nous sont révélées par les sciences les plus récentes.

Qu’apporte donc la science à cette notion et voyons comment elle en révolutionne la portée.

Je ferai appel à la physique quantique. La physique quantique a en effet permis de préciser la limite de l’actualisation des phénomènes physiques et biologiques en tant qu’actualisations non-contradictoires. Elle nous dit que la non-contradiction de quel phénomène naturel que ce soit tend asymptotiquement vers sa perfection mais ne peut l’atteindre rigoureusement. Il demeure donc toujours un quotient de contradictoire au sein de la structure fine de tout événement naturel.

Ainsi, ne peut exister de sujet connaissant qui puisse être statufié dans une non-contradiction radicale. C’est l’interaction entre les choses, entre ce qui est étudié et l’instrument de mesure qui l’étudie, par exemple, qui fait apparaître l’un ou l’autre des contraires potentiellement contenus dans le réel, qui est en fait en lui-même contradictoire.

Le réel se déploie donc entre ce qui apparaît comme phénomène non-contradictoire et le contradictoire lui-même, et l’on peut imaginer désormais tous les intermédiaires entre les contraires y compris un moment strictement contradictoire.

Le réel est décrit par Heisenberg comme un ensemble de potentialités coexistantes ; ce qui ressemble beaucoup à la puissance (la matière) de la philosophie grecque [1]. La physique quantique – qui parvient à l’analyse fine de la matière et de l’énergie – vérifie par l’expérience l’intuition d’Aristote d’une matière en elle-même contradictoire.

La deuxième observation, que j’emprunte à la physique contemporaine, est que la transformation de l’un des contraires en l’autre, l’onde lumineuse par exemple en électrons, ne produit pas quelque chose d’aléatoire : la matérialisation (ou la dématérialisation) de l’énergie n’est pas un événement arbitraire.

Le principe d’équivalence, qui ressemble beaucoup à l’identité des contraires dont nous avons parlé, est déterminé comme si l’onde était aussi la “mémoire” des électrons en laquelle elle peut se transformer, et comme si les particules étaient aussi “mémoires” de l’énergie en laquelle elles peuvent se transformer. Dès lors, ces “mémoires”, nous pouvons les appeler des consciences élémentaires  (lire la définition) . Et nous observons immédiatement qu’elles sont conjointes aux phénomènes observés par une conjonction de contradiction puisque lorsque s’actualise l’onde, celle-ci est une conscience élémentaire des particules, et lorsque ces particules se matérialisent, s’actualisent à leur tour, elles deviennent consciences élémentaires de l’onde.

La science peut enfin parler de ce qu’elle ne connaît pas ! La physique relativiste moderne associée à la physique quantique permet d’ajouter à l’idée philosophique de l’identité des contraires que cette identité est une conjonction contradictionnelle entre un phénomène et la conscience élémentaire de son contraire.

Je viens d’énoncer sous une forme imagée le principe d’antagonisme  (lire la définition) qui fonde la Logique du contradictoire  (lire la définition) découverte par Stéphane Lupasco il y a une cinquantaine d’années [2].

Je souligne, enfin, que lorsque se produit le contradictoire pur par l’interaction réciproque et égalitaire des contraires, leurs consciences élémentaires se relativisent totalement, c’est-à-dire que leur caractère élémentaire disparaît, tandis que la résultante de cette disparition se constitue en quelque chose que nous pouvons concevoir comme une conscience qui n’est conscience que d’elle-même, ce que nous pouvons appeler provisoirement : une conscience de conscience.

La physique relativiste moderne permet d’ajouter à l’idée philosophique de l’identité des contraires que cette identité est une conjonction contradictionnelle entre un phénomène et sa conscience élémentaire.

La physique quantique – qui parvient à l’analyse fine de la matière et de l’énergie – vérifie par l’expérience l’intuition d’Aristote d’une matière en elle-même contradictoire.

Les précisions de la biologie moderne sur le contradictoire

J’emprunterai à la biologie contemporaine deux observations qui vont modifier la question du contradictoire cette fois-ci en rapport avec l’affectivité.

Entre la vie et la mort qui la menace, l’interface apparaît d’abord comme un non lieu. Elle n’est pas plus habitée que l’interface entre l’eau et l’air, la mer et le ciel. Elle « n’existe pas ». Chaque cellule de l’organisme est au contact soit d’une autre cellule, soit du milieu extérieur mais le contact lui-même est sans “épaisseur”. L’information reçue par des systèmes chimiques est transmise, analysée, confrontée à un code génétique dont la réponse circonstanciée parcourt un cheminement plus ou moins long mais reste ordonnée au système vivant qui lui impose sa finalité (croître, se multiplier et se différencier en une organisation de plus en plus complexe). L’interface disparaît donc comme dans la proposition de l’identité des contraires, comme si elle était laminée et supprimée ou encore absorbée par une finalité ou une conscience dominante, celle du vivant.

Mais le système nerveux peut acquérir une certaine indépendance et le non-lieu de l’interface peut se déployer pour lui-même.

Si, en effet, le système nerveux est une part du système biologique, il est aussi autre chose dont la finalité propre échappe à celle de la vie : il se déploie de sorte que l’interface entre informations antagonistes ne cesse de croître. Or, chaque information transmise par une cellule nerveuse peut s’analyser en phénomènes élémentaires dont l’ordre de grandeur se ramène au quantique. La structure de l’événement que traduit l’information est donc de l’ordre de grandeur où prédomine le contradictoire. La matière de l’information est de nature quantique. Le lieu – protégé – de cette expérience de l’interface entre informations antagonistes est le cerveau.

Le cerveau apparaît comme un champ de complexification du contradictoire (de l’interface) grâce à la confrontation systématique entre informations antagonistes (informations de l’organisme du vivant et informations du monde extérieur, sollicitées par les organes des sens).

Le système nerveux n’est pas seulement un système interactif entre information biologique et monde extérieur. Ce qui est construit par le cerveau est une inflorescence de l’interface où le contradictoire peut se déployer pour lui-même.

L’autre observation que je sélectionne dans les riches données de la neurobiologie est que notre système nerveux produit de lui-même une activité que l’on dit oscillante car elle alterne une construction et une destruction d’un équilibre contradictoire, alors que selon la conception classique des biologistes la vie est production de formes nouvelles et d’organisations toujours plus complexes menacées par une mort étrangère [3].

Bien sûr tout système vivant est construit d’antagonismes et d’antagonismes d’antagonismes, mais comme le résume bien la terminologie de catabolisme, d’anabolisme et de métabolisme, la conception classique des biologistes subordonne le catabolisme au métabolisme et le métabolisme à l’anabolisme, un peu à la manière dont le Philosophe orientait les trois principes du désordre, du contradictoire et de l’ordre par la prééminence de l’ordre. Eh bien, au niveau du système nerveux, il en est différemment : la mort est programmée par les cellules nerveuses dites oscillantes comme une activité qui, au moins dans les organismes supérieurs, est produite de façon systématique de façon à être en état d’équilibre permanent avec la vie. Notre système nerveux produit de la mort et de la vie de façon à engendrer un contradictoire gratuit, ce que nous appellerons des sensations « vierges ».

Le système nerveux n’est pas seulement un système interactif entre information biologique et monde extérieur. Ce qui est construit par le cerveau est une inflorescence de l’interface où le contradictoire peut se déployer pour lui-même.

Il suffit alors que ces équilibres entre vie et mort soient mis en porte-à-faux par une information provenant du monde extérieur (une agression de mort) pour que cet équilibre se charge de cette information en excès : cet excès provoque une réaction qui vient rétablir l’équilibre initial, mais cette réaction potentialise l’agression comme une conscience objective  (lire la définition) .

La physiologie neuronale peut donc rendre compte de la perception : la perception provient du fait que la sensation vierge qui résulte d’une activité contradictoire préalable et systématique se déséquilibre et, du fait que l’excès de non-contradictoire qui produit ce déséquilibre est conjoint à une conscience élémentaire (selon ce que nous avons dit à partir de notre observation sur les données de la physique contemporaine et du principe d’antagonisme de Stéphane Lupasco), cette conscience élémentaire devient l’horizon non-contradictoire du contradictoire ; ce qui se traduira dans le cerveau par la reconnaissance de la réalité du monde en termes de perceptions objectives. Quelque chose qui était neutre devient, une fois polarisé par une conscience élémentaire, une perception. Je parle à propos de ce quelque chose de neutre de sensation vierge pour dire que la dite sensation « n’existe pas », dans la mesure où l’on dit que « le contradictoire n’existe pas », car elle n’est qu’une interface, un milieu entre des contraires et donc « contradictoire »... (comme la puissance d’Aristote !)

Si l’on parle ici de sensation, ce n’est alors que d’un point de vue scientifique, car cette sensation n’est encore sensation de rien. Néanmoins, elle est en puissance d’être sensation ou d’elle-même ou de quelque chose et, dès lors, elle existera ! Nous sommes cependant devant un paradoxe identique à celui de certaines équations mathématiques qui se sont imposées sans qu’elles aient pu être préalablement imaginées (au dire des mathématiciens). Mais le paradoxe est encore plus redoutable car la technique (ici, les appareils de télévision qui enregistrent les courants bioélectriques dans les réseaux de neurones du cerveau) nous révèlent que nous sommes le siège de sensations qui nous constituent comme sujet et que nous ne sentons pas, des affectivités silencieuses ! Aucune logique traditionnelle ne nous donne raison d’un tel paradoxe, ni aucune économie affective. Un paradoxe à rendre furieux !

Et pour illustrer cette difficulté, dont je mesure qu’elle peut être un obstacle dans nos discussions, je voudrais rappeler ce que Lupasco lui-même disait de la découverte de la systémogenèse du contradictoire : ayant formalisé la Logique du contradictoire à partir de son fameux Principe d’antagonisme, il écrit avec les symboles de sa logique sur une feuille blanche les dérivations de son principe en pensant faire apparaître deux grandes systémogenèses. Sur le papier, apparaissent comme prévu des signes qui montrent que le contradictoire peut s’actualiser sous une forme non-contradictoire, soit selon la dynamique polarisée par l’un de ses deux pôles, soit selon la dynamique polarisée par l’autre, mais apparaît aussi une troisième dynamique selon laquelle le contradictoire ni ne s’actualise ni ne se potentialise, dans l’une ou l’autre de ces deux directions, mais s’engendre contradictoriellement ! D’où une systémogenèse à trois polarités idéales, et non pas deux.

Quelque chose de non pensable (le développement contradictoire du contradictoire) dans la représentation du monde vient de s’imposer à la représentation humaine ! La sensation vierge, dont je parlais, est du contradictoire pur, mais voici qu’elle peut avoir un développement complexe (que l’on appellera contradictoriel) et qui sera (mais nous n’en parlerons pas ici) la matière première du sentiment, pour reprendre une expression de Maurice Merleau-Ponty qui connaissait bien Lupasco : la « chair du monde ».

La phénoménologie s’inquiète de comprendre ce dont il est question quand l’homme pense : comment se produit la perception et comment se produit la sensation, comment s’élaborent les concepts et les sentiments. Mais la phénoménologie de la connaissance et la phénoménologie de l’affectivité supposent que l’on perçoive quelque chose ou que l’on éprouve quelque chose. La science moderne provoque des expériences à vide, si je puis dire, sans perception ni sensation. Ce qui sera reçu le sera sans pour autant impliquer une intention quelconque ou une réceptivité quelconque mais comme une divine surprise : pour en rendre compte, il faudrait imaginer une phénoménologie du néant ou encore de la création.

C’est dans la région centrale du cerveau – où se réfléchissent en circuits fermés les informations du monde extérieur captées par les organes des sens et du monde intérieur ordonnées par la matière biologique – que se trouvent les centres nerveux d’où émanent les principales affectivités humaines.

Résumons :

Ou bien la sensation vierge est mobilisée dans une interaction avec le monde ou la vie et devient la sensation de quelque chose, chaleur, soif, etc. Ces valeurs affectives sont alors en quelque sorte limitées et leurs limites sont le plus souvent dues aux finalités de la vie. Chacune reçoit ainsi une nature particulière : la douleur, le plaisir, etc., ne sont pas distribués en effet de façon aléatoire. Ces affectivités ont une valeur signalétique en faveur de la vie. Les trois principes (les deux contraires et le contradictoire) (le chaos, la matière et la vie) sont inégaux et dominés par la vie. De telles affectivités sont donc utiles à la vie, mais non pas libres.

Ou bien l’affectivité de référence, la sensation vierge, n’est polarisée par aucune finalité non-contradictoire, ni par la vie, ni par le monde, et cette affectivité est alors celle de la liberté. Cette affectivité n’a pas de limites et n’a donc aucune nature particulière : elle est transparente.

La physiologie neuronale révèle donc que peuvent se construire des réseaux ouverts sur le monde par les organes des sens, mais que peuvent aussi se construire des systèmes autonomes, des systèmes d’interactions en boucles qui donnent naissance à des sensations de sensations à l’origine des sentiments. D’où une difficulté qu’illustrait il y a peu le débat entre le philosophe Paul Ricœur, prétendant que cette chose spirituelle qui résulte de toutes ces informations et que l’on nomme la pensée est hors d’atteinte de la connaissance scientifique, et le biologiste Jean-Pierre Changeux qui voulait expliquer au philosophe que la chose en question, c’est-à-dire toutes nos pensées et même nos sentiments, étaient le produit de dynamiques physiques et biologiques et de leurs interactions. Débat qui n’a pas de solution à partir de la logique classique car on peut tout aussi bien dire que le psychique mobilise le biologique et le physique dans un moment contradictoire qui les dépasse tous deux, ou dire que le physique et le biologique créent entre eux une interface contradictoire dans lequel ils se métamorphosent.

Les moments contradictoires résultent bien de la confrontation ou d’interactions qui sont mesurables mais dire que la résultante de cette relativisation de choses mesurables est non-mesurable parce que cette résultante est justement en elle-même contradictoire, cela est aussi évident. La résultante en question est de plus non-maîtrisable, comme le soutient Ricœur, parce qu’elle est douée de sa propre effectivité, c’est-à-dire de l’effectivité d’une souveraine liberté que j’appellerai, ici, la volonté ; elle échappe donc au pouvoir scientifique et répond à l’espérance du philosophe qui en fait le principe ou le commencement de la subjectivité humaine ; mais on sait désormais la produire, comme le fait observer à juste titre le scientifique Jean-Pierre Changeux, ce qui n’est pas rien.

La vie biologique et la vie spirituelle se rapprochent donc l’une de l’autre, l’une étant celle où les affectivités sont dépendantes, l’autre où les affectivités ne sont pas dépendantes de fonctions biologiques (pourtant nécessaires, j’insiste, à la construction des interfaces contradictoires et donc aux énergies spirituelles). La vie spirituelle et la vie intellectuelle se rapprochent également l’une de l’autre puisqu’elles sont des équilibres quantiques (complexes) qui diffèrent seulement par le fait d’être ou non polarisés par des interactions avec la vie et le monde.

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Notes

[1] Lorsque le physicien prétend rendre compte de ce qui est au moins en partie contradictoire par des mesures non-contradictoires mais antagonistes, il dit ces mesures “complémentaires”, et cela pour respecter les principes de la logique d’identité, ou plus précisément parce qu’il est impossible de rendre compte directement par la connaissance de ce qui est en soi contradictoire. Les célèbres images de l’onde et de la particule permettent au physicien de visualiser l’antinomie de ces mesures antagonistes. Chacune de ces images correspond à une actualisation non-contradictoire d’un événement qui est en fait plus ou moins contradictoire. Cependant, cette actualisation ne peut atteindre une non-contradiction absolue. Cet interdit est mathématisé par les relations d’incertitude de Heisenberg.

[2] Selon la Logique classique de non-contradiction, nous n’avons connaissance que de ce qui est non-contradictoire, d’où le principe d’identité : (A = A). Les contraires s’excluent puisque chacun est non-contradictoire en lui-même, d’où le principe de contradiction : A exclut non-A. L’exclusion de non-A suppose la présence de A et donc élimine toute autre solution parce qu’elle contiendrait une part de contradiction (principe du Tiers exclu).

Selon la Logique du contradictoire : « À tout phénomène ou élément ou événement logique quelconque, et donc au jugement qui le pense, à la proposition qui l’exprime, au signe qui le symbolise : e, par exemple, doit toujours être associé, structuralement et fonctionnellement, un anti-phénomène ou anti-élément ou anti-événement logique, et donc un jugement, une proposition, un signe contradictoire : non-e ; et de telle sorte que e ou non-e ne peut jamais qu’être potentialisé par l’actualisation de non-e ou e, mais non pas disparaître afin que soit non-e soit e puisse se suffire à lui-même dans une indépendance et donc une non-contradiction rigoureuse – comme dans toute logique, classique ou autre, qui se fonde sur l’absoluité du principe de non-contradiction ». Postulat Fondamental de la Logique Dynamique du Contradictoire. Cf. LUPASCO, Stéphane. Le principe d’antagonisme et la logique de l’énergie. Paris : Hermann, 1951.
- Cf. TEMPLE, Dominique. “Le Principe d’antagonisme de Stéphane Lupasco”. In Bulletin Interactif du Centre International de Recherches et Études Transdisciplinaires, CIRET, n°13, 1998.

[3] Cf. CHANGEUX, Jean-Pierre. L’homme neuronal. Paris : Fayard, 1983. Les oscillateurs : « La communication dans le réseau nerveux s’effectue donc sous la forme d’ondes solitaires qui circulent le long des nerfs d’un point à l’autre du réseau. Mais d’où viennent ces signaux ? L’électro-encéphalogramme montre clairement qu’en l’absence de stimulation sensorielle évidente, même pendant le sommeil, le cortex cérébral produit une activité électrique intense. Une microélectrode plantée dans une cellule nerveuse quelconque du cortex indique bien qu’il s’agit d’une genèse spontanée d’impulsions électriques. Le phénomène est général. Même des neurones mis en culture, par exemple à partir d’une tumeur comme le neuroblastome, produisent spontanément des potentiels d’action. L’analyse de ces générateurs d’impulsions a été facilitée par la remarquable régularité de la distribution de ces impulsions dans le temps. Ils fonctionnent comme des oscillateurs. C’est le cas, par exemple, du neurone “à rafales” R d’Aplysie ».

« À quoi bon cette activité spontanée ? D’un côté les psychologues répugnent à considérer le travail mental comme une activité spontanée, de l’autre, les physiologistes, dans la foulée de Sherrington et des cybernéticiens, s’intéressent aux réponses dont la relation avec une stimulation périphérique ne fait pas de doute. En fait, au niveau élémentaire, les impulsions propagées sont identiques, qu’elles soient d’origine spontanée ou “évoquées”. De plus, la distinction entre impulsions spontanées et impulsions évoquées par une interaction avec l’environnement se discute. En effet, dans quelques cas bien établis, l’activité évoquée a pour point de départ un générateur spontané d’impulsions ! L’exemple le plus frappant est celui des récepteurs sensoriels dont la fonction est de “transduire” des signaux physiques reçus du monde extérieur en impulsions nerveuses. En premier ressort, ils sont à l’origine de toute activité évoquée. Choisissons le cas des récepteurs vestibulaires qui, logés dans l’oreille interne, interviennent dans la perception du champ de gravité et des mouvements dans l’espace à trois dimensions. Chez le singe éveillé, une électrode appliquée sur le nerf vestibulaire enregistre une activité spontanée soutenue de l’ordre de 20 impulsions par seconde. Si on fait tourner dans une direction donnée la chaise sur laquelle le singe est assis, l’activité augmente jusqu’à 30 impulsions par seconde ; dans la direction opposée, elle décroît jusqu’à moins de 10 par seconde. L’activité spontanée qui préexiste à l’action du stimulus physique permet une double régulation et, de ce fait, offre de plus grandes possibilités de codage. La réponse de l’organe récepteur et, par voie de conséquence, la réponse évoquée recueillie au niveau central, se manifestent donc aussi bien par un accroissement de fréquence des impulsions que par une diminution de celle-ci ». (J.-P. CHANGEUX. L’homme neuronal, op. cit. Chapitre III, p. 100 et p. 106).


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