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septembre 2012

Avons-nous bien compris la logique de la crise ?

Dominique TEMPLE

On dit que le profit ne cesse de croître pour les actionnaires du capital. Il suffit en effet pour enrayer la baisse du profit sur la production de multiplier la consommation. Mais là aussi il peut y avoir bientôt saturation de la demande solvable. Alors il faut soutenir la consommation par le crédit. La concurrence diminue à son tour la rentabilité des prêts à la consommation. Nouvelle contradiction. Peu importe si l’on peut transformer l’insolvabilité des prêts en multiplicateur de profit. Comment est-ce possible ?

C’est ce que, sur son blog, Paul Jorion explicite. Les banques financent à tout va la consommation : certains de ces prêts sont à risque et les banques doivent les assurer, mais elles peuvent aussi vendre ces crédits, ce qui leur permet d’échapper à la contrainte d’avoir des fonds propres pour les soutenir, et donc de multiplier leurs crédits à découvert. Et l’on peut mettre sur le marché ces primes d’assurance en leur associant des intérêts d’autant plus élevés que le risque d’insolvabilité s’accroît : ainsi, plus la crise augmente et plus les profits sur ces primes augmentent. Le mécanisme qui permet d’approfondir la crise et nourrir la spéculation est la dissimulation des crédits à risque dans des paquets d’obligations indivises. Dès lors, la crise, si elle devait éclater, frapperait la totalité du système. L’État serait aussitôt contraint d’intervenir en rachetant les produits financiers insolvables pour éviter l’effondrement économique, mais il creuse sa propre dette parce qu’il doit emprunter sur le marché financier. La faillite éventuelle des banques est reportée sur la faillite éventuelle des États d’autant plus que les banques augmentent les primes d’assurance de leurs prêts aux États. La faillite des États est-elle possible ?

Sans doute puisqu’elle a motivé une spéculation spéciale : le spéculateur achète des obligations qu’il paiera dans un certain délai mais qu’il revend immédiatement. Si le cours des actions baisse, il encaisse la différence. Cette spéculation a donc intérêt à la faillite des entreprises ou des États ciblés. Or, elle a été pratiquée contre des États (la Grèce). Cependant, les États européens sont liés, et si la crise emportait l’un d’eux, elle pourrait les entraîner tous. Et une faillite générale emporterait également les banques qui les financent. Ces dernières ont donc mis d’elles-mêmes une limite à la spéculation négative pour sauver la spéculation positive, comme jadis elles mirent une limite à la constitution des monopoles pour sauver la concurrence. Cette limite est un traité interbancaire selon lequel au-delà d’un certain seuil la dette des États n’est plus un événement de crédit, ce qui équivaut à ce que la dette soit amputée du montant des primes d’assurance qui ont dopé la spéculation négative : exemple typique d’autorégulation du marché capitaliste.

Néanmoins, les États menacés peuvent ne pas pouvoir respecter les conditions de l’Union européenne, et s’exclure d’eux-mêmes de cette zone de protection si le peuple, jugeant le coût de la dette top élevé, le décide. Les primes d’assurance des prêts consentis aux États par les banques intègrent alors une prime de convertibilité qui anticipe la dévaluation qu’entraînerait le retour à une monnaie nationale. La banque se rembourse de naufrages virtuels par anticipations réelles puisqu’elle considère ces primes comme des actifs. Il n’est donc pas possible pour un pays endetté de fuir la zone des tempêtes sans que cette fuite ne se termine en naufrage. Reste encore à greffer l’exploitation capitaliste sur la crise de façon permanente sans autre risque pour la banque : la production monétaire peut anticiper sur la surconsommation virtuelle indéfiniment à condition que le pouvoir de battre monnaie obéisse aux banques. C’est ce qui a été inauguré en France par Georges Pompidou qui, sous le prétexte de juguler l’inflation, obligea l’État à emprunter aux banques privées et au marché financier (loi du 3 janvier 1973 sur la Banque de France). Quelques années plus tard, le traité de Maastricht étendit le principe à tous les États membres de l’Europe dans son article 104. Il fut alors aisé de greffer le profit sur l’augmentation de la dette. La menace de l’effondrement général oblige aujourd’hui les États européens à encadrer la dette dans la limite de la croissance pour que la spéculation puisse être supportée par les peuples européens : c’est la proposition de M. Sarkosy et Mme Merkel qu’ils appellent abusivement la « règle d’or ».L’alternative, c’est de reporter à plus tard la banqueroute par la planche à billet, l’inflation et la baisse du pouvoir d’achat mortelle pour les plus humbles, une solution de sinistre mémoire.

La rupture avec cette logique de la crise permanente ou encore la sortie du système capitaliste ne pourrait-elle s’élaborer grâce à des interfaces entre la territorialité réservée au libre-échange et les territorialités définies par d’autres principes économiques, comme la redistribution, le partage et la réciprocité de marché ; ou bien doit-on attendre que la crise menaçant de tout emporter oblige à une nouvelle définition des conditions du libre-échange, c’est-à-dire à l’institution d’un cadre de réciprocité à l’échelle mondiale ?

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