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février 2009

2. Qu’est-ce que le contrat Shipibo ?

Dominique TEMPLE

Le « Contrat à deux prix »

Dans les années 1980, l’économiste et financier belge Bernard Lietaer tentait de résoudre pour différents pays du Tiers-Monde, le problème dit de l’échange inégal [1]. Il proposait d’indexer le prix d’achat des productions « indigènes » sur leur prix de vente dans les pays occidentaux… une sorte de droit de suite sur le cours de la valeur, ou encore de prix retour sur la valeur monétaire mesurée en Europe, d’où le nom de « contrat à deux prix ».

Une institution internationale, la Bourse Mondiale du Développement devait assurer les transactions. Le prix retour devait supprimer les spéculations rendues possibles par le fait que les producteurs « indigènes » ne disposent pas des moyens de se présenter eux-mêmes sur les marchés. Ce type de contrat était particulièrement approprié pour les communautés indiennes qui ont peu de moyens de défense vis-à-vis des intermédiaires.

Le contrat SHIPIBO proprement dit est un « contrat à deux prix » pour les céramiques créées par des artistes de la communauté Shipibo qui respecte aussi les conditions de production propres aux communautés indiennes. Le prix retour est adressé à la communauté elle-même, grâce à l’organisation Shipibo responsable. Le Conseil ethnique assure lui-même la médiation entre le système occidental et la communauté Shipibo. Les relations de réciprocité entre les diverses familles Shipibo sont ainsi préservées ou du moins toute évolution est contrôlée par les Shipibo eux-mêmes.

Les prix sont établis par accord entre artistes européens, experts en céramiques d’art et exposants. Les exposants sont libres de moduler à leur gré cette estimation de base mais acceptent de limiter leur marge commerciale à 30% de leur prix de vente. 70% sont donc restitués aux communautés indiennes. Celles-ci prennent en charge les frais d’achat à leurs propres artistes, les frais de transport et d’assurance. Les Shipibo voient dans les exposants qui acceptent ce contrat-type non pas seulement des partenaires commerciaux, mais des « amis ».

Une première tentative de ce contrat eut lieu en 1979, à notre initiative, avec la galerie Mont-des-Arts de Daniel Abras (Bruxelles), et la galerie Quadri de Madeleine Witzig (Lausanne) a également participé. Le succès de ces expositions a provoqué un choc en retour et diverses interventions occidentales qui ont divisé les Shipibo.

Des organisations d’Aide au Tiers-Monde fondèrent une coopérative de récolte et de stockage des céramiques qui furent mises à la disposition des touristes, des spéculateurs et de chaînes de commerçants organisés, provoquant l’effondrement des prix et la baisse de la qualité à la production. Diverses initiatives telles que la construction d’un four, la commercialisation des argiles… tendent à transformer l’art Shipibo en artisanat industriel. Les responsables Shipibo réagissent vivement à cet ethnocide.

En 1990, l’unité indienne s’est reconstituée par un accord entre les trois organisations ORDESH, FECONBU et FECONAU pour tenter de reconquérir la maîtrise de la commercialisation des céramiques d’art. Elles affrontent des institutions qui tentent de substituer aux relations de réciprocité communautaires des relations de concurrence ; substitution que j’ai appelée « l’économicide »  (lire la définition) .

biface shipibo

Jarre biface, Moyen Ucayali.

Le prix retour a toujours suscité une joie intense chez les Shipibo, non seulement parce que l’argent dégage des possibilités inespérées pour les communautés, mais parce que pour les Shipibo, le prestige, l’émotion d’être reconnu, joue un rôle moteur très important. Il l’emporte même sur la satisfaction matérielle y compris lorsque celle-ci a un caractère de nécessité.

Les communautés rendent hommage à leurs artistes et celles-ci créent alors des œuvres nouvelles étonnantes. C’est le contraire lorsque se présentent les agents du commerce ordinaire : les communautés indiennes semblent déprimées par des sentiments de frustration et d’humiliation. Les artistes ne sont plus motivées par des raisons spirituelles et ne fabriquent plus que des objets sans âme. Aussi la décision des Shipibo semble-t-elle aujourd’hui très déterminée : retrouver le contact direct avec des partenaires loyaux en Europe qui respectent le « contrat à deux prix ».

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Lire aussi de Dominique TEMPLE :

– « Les ONG comme cheval de Troie ». IFDA Dossier, n° 60, Juillet-Août 1987, pp. 39-52 ;

– « Le rôle des ONG dans l’économicide ». INTER Culture, vol. 21, n° 1, cahier 98, éd. Centre Interculturel de Monchanin, Québec, Hiver/janvier 1988, 48 p. éd. française et anglaise ;

– « Qu’est-ce que l’économicide ? » Alternatives au développement (Robert Vachon dir.) Institut Interculturel de Montréal, collection Alternatives, éd. du Fleuve, Montréal, 1990 ; publié également dans Transnational Associations, n° 1, Janvier-Février 1988. Rééd. 1990.

– « Aperçu rétrospectif sur les luttes indiennes d’Amazonie (1970-1999) ».

Voir pour plus de BIBLIOGRAPHIE.

 

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Notes

[1] LIETAER, Bernard. L’Amérique Latine et l’Europe demain : le rôle des multinationales européennes dans les années 1980, Paris, PUF, 1979.


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