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janvier 2011

Benoît XVI « Caritas in Veritate »

Dominique TEMPLE (Forum de discussion : 2 commentaires)

L’Encyclique d’une nouvelle économie

La dernière encyclique de Benoît XVI « Caritas in Veritate » (29 Juin 2009) propose une conception nouvelle de l’économie :

« Dans les relations marchandes, le principe de gratuité et la logique du don comme expression de la fraternité, peuvent et doivent trouver leur place à l’intérieur de l’activité économique normale » [1].

Il est bien dit à l’intérieur et non pas à côté.

Les termes de gratuité et logique du don sont soulignés par Benoît XVI. D’autre part, la gratuité et la logique du don sont dites l’expression de la fraternité qui est le nom de la réciprocité ou encore de l’Alliance dès lors qu’elle est postulée universelle.

Souhaiterait-il que la réciprocité soit clairement associée de façon complémentaire à l’échange et que ces deux principes coexistent au sein de la même économie marchande, au lieu que l’un domine ou masque l’autre de sorte que seul apparaisse le profit ?

Benoît XVI revient sur cette question pour préciser qu’il propose un changement, et non pas une juxtaposition de paradigmes.

« Il faut œuvrer – et cette observation est ici essentielle ! – non seulement pour que naissent des secteurs ou des lignes “éthiques” dans l’économie ou dans la finance, mais pour que toute l’économie et toute la finance soient éthiques et le soient non à cause d’un étiquetage extérieur, mais à cause du respect d’exigences intrinsèques à leur nature même » [2].

C’est bien “toute l’économie et toute la finance” qui doivent être éthiques pour répondre aux exigences intrinsèques de l’économie.

La nature de la finance et de l’économie doit impliquer la gratuité.

Pour justifier que ce soit toute l’économie qui ait besoin d’être redéfinie, Benoît XVI avance que l’alternative lucratif/non-lucratif n’est à ce jour plus pertinente : elle ne rend plus compte de la réalité et n’oriente pas efficacement l’avenir.

« Considérant les thématiques relatives au rapport entre entreprise et éthique, ainsi que l’évolution que le système de production connaît actuellement, il semble que la distinction faite jusqu’ici entre entreprises à but lucratif (profit) et organisation à but non lucratif (non profit) ne soit plus en mesure de rendre pleinement compte de la réalité, ni d’orienter efficacement l’avenir » [3].

Benoît XVI ajoute à cela une autre raison : le système capitaliste échappe désormais à l’autorité des États. La politique, qui selon la théorie du libéralisme devrait corriger l’amoralité de l’économie naturelle, ne la contrôle plus, et c’est donc l’économie elle-même qui doit être soumise aux fondements de l’Éthique.

« Peut-être fut-il un temps pensable de confier en premier lieu à l’économie la tâche de produire des richesses, remettant ensuite à la politique la tâche de les distribuer. Tout ceci se révèle aujourd’hui plus difficile, puisque les activités économiques ne sont pas confinées à l’intérieur des limites territoriales, alors que l’autorité des gouvernements continue à être essentiellement locale. C’est pourquoi les règles de la justice doivent être respectées dès la mise en route du processus économique, et non avant, après ou parallèlement » [4].

Benoît XVI distingue ensuite entre : 1) les entreprises qui ont pour but le profit, 2) les entreprises qui se donnent une autre finalité que le profit, et 3) une troisième catégorie d’entreprise :

« Au cours de ces dernières décennies, une ample sphère intermédiaire entre ces deux types d’entreprises a surgi. Elle est constituée d’entreprises traditionnelles, – qui cependant souscrivent des pactes d’aide aux pays sous-développés –, de fondations qui sont l’expression d’entreprises individuelles, de groupes d’entreprises ayant des buts d’utilité sociale, du monde varié des acteurs de l’économie dite « civile et de communion ». Il ne s’agit pas seulement d’un « troisième secteur », mais d’une nouvelle réalité vaste et complexe, qui touche le privé et le public et qui n’exclut pas le profit mais le considère comme un instrument pour réaliser des objectifs humains et sociaux » [5].

Ce qui revient donc à reconnaître dans ces entreprises lucratives une différence entre l’intention et la réalité. Ce sont les bonnes intentions qui sont ici envisagées.

Il semble bien qu’il ait pour souci de justifier les entreprises qui obéissent à la contrainte du profit tout en visant des objectifs humains et sociaux. Il dira donc de ces entreprises à but lucratif mais avec de bonnes intentions qu’elles font évoluer les agents du système économique “vers une plus claire et complète acceptation de leurs devoirs”, comme si leur était concédé que le profit était jusqu’alors le seul critère dont elles disposaient pour agir de façon pratique. Pour faire bref, les entreprises capitalistes qui s’imposent des limites morales comme on doit l’attendre des entreprises conduites par des chrétiens.

Benoît XVI fait droit à l’intention, et lui apporte alors l’éclairage nécessaire pour qu’elle adopte le nouveau paradigme qu’il propose, et toute la difficulté consiste donc dans le passage de l’économie de profit à l’économie nouvelle.

Il n’en demande pas moins à la réciprocité de faire la preuve de sa supériorité, ce qui revient à laisser une marge de manœuvre à l’entreprise capitaliste. Il ajoute en effet : « Bien plus, la pluralité même des formes institutionnelles de l’entreprise crée un marché plus civique et en même temps plus compétitif ».

S’agit-il de concilier l’économie capitaliste et l’économie de réciprocité  (lire la définition)  ? Une conciliation de l’éthique et du profit ? L’invocation de la logique du don, de la fraternité et de la gratuité ne serait-elle que spirituelle ?

Plus vraisemblablement, et sous réserve que l’encyclique n’ait pas été rédigée à plusieurs mains et de façon contradictoire [6], Benoît XVI se montre soucieux d’établir un lien avec la précédente encyclique de Paul VI “Populorum progressio” (Paul VI, 1967), qui demandait que soit défini « un modèle d’économie de marché capable d’intégrer, au moins tendanciellement, tous les peuples et non seulement ceux qui étaient en mesure d’y prendre part » [7], c’est-à-dire d’assurer le passage des économies traditionnelles de réciprocité à l’économie de libre-échange moderne.

Ce programme d’intégration fut renforcé par Jean-Paul II qui ne laissa aucune illusion sur ce qu’il fallait entendre par économie de marché. Parlant des peuples encore protégés du marché capitaliste, il déclarait dans “Centesimus annus” (Jean-Paul II, 1991) :

« Est-ce ce modèle qu’il faut proposer aux pays du Tiers-Monde ? (…)
Si sous le nom du “capitalisme” on désigne un système économique qui reconnaît le rôle fondamental et positif de l’entreprise, du marché, de la propriété privée et de la responsabilité qu’elle implique dans les moyens de production, de la libre créativité humaine dans le secteur économique, la réponse est sûrement positive, même s’il serait peut-être plus approprié de parler d’“économie d’entreprise” ou d’“économie de marché”, ou simplement d’“économie libre” » [8].

Est-ce donc dans une logique de continuité avec la doctrine de ses prédécesseurs que Benoît XVI se soucie des entreprises capitalistes intermédiaires qui conçoivent le profit comme un instrument pour parvenir à des objectifs d’humanisation du marché ?

« Le renforcement des diverses typologies d’entreprises et, en particulier, de celles capables de concevoir le profit comme un instrument pour parvenir à des objectifs d’humanisation du marché et des sociétés, doit être poursuivi aussi dans les pays qui sont exclus ou mis en marge des circuits de l’économie mondiale, et où il est très important d’avancer par le biais de projets fondés sur une subsidiarité conçue et administrée de façon adaptée, qui tende à affermir les droits tout en prévoyant toujours une prise des responsabilités correspondantes » [9].

La continuité paraît évidente, mais alors l’encyclique subit ici quelques turbulences ! Quels sont ces droits ? Quelles sont ces responsabilités ? Mais surtout comment peut-on utiliser le profit pour humaniser le marché ? Comment peut-on dire que la fraternité et la gratuité sont intrinsèques à l’économie, et justifier le profit ? Comment peut-on se référer à l’esprit du don et le concilier avec la privatisation de la propriété ? Peut-être de tels paradoxes doivent-ils être attribués à la contrainte inhérente à toute parole religieuse de réunir toutes les bonnes intentions dans la communion et de les focaliser sur une finalité dont l’unité doit être définie (la parole religieuse est une Parole d’union  (lire la définition) ). Dans ce cas, il faut encore donner à l’unité de la contradiction une direction, ou un sens.

C’est ici que la subtilité du discours de Benoît XVI se montre efficace : Dans les interventions en faveur du développement, le principe de Centesimus annus,

« (…) il (Jean-Paul II) avait relevé la nécessité d’un système impliquant trois sujets : le marché, l’État et la société civile. Il avait identifié la société civile comme le cadre le plus approprié pour une économie de la gratuité et de la fraternité, mais il ne voulait pas l’exclure des deux autres domaines. Aujourd’hui, nous pouvons dire que la vie économique doit être comprise comme une réalité à plusieurs dimensions : en chacune d’elles, à divers degrés et selon des modalités spécifiques, l’aspect de la réciprocité fraternelle doit être présent. À l’époque de la mondialisation, l’activité économique ne peut faire abstraction de la gratuité, qui répand et alimente la solidarité et la responsabilité pour la justice et pour le bien commun auprès de ses différents sujets et acteurs. Il s’agit, en réalité, d’une forme concrète et profonde de démocratie économique » [10].

Aujourd’hui, la nouvelle doctrine se construit sur une notion autrefois partielle mais désormais généralisée, la réciprocité fraternelle  (lire la définition) , et Benoît XVI y ajoute même… son mode opératoire : la démocratie économique !

La dynamique de l’économie est désormais la gratuité, qui répand et nourrit les valeurs de solidarité et de responsabilité… et le texte continue : “pour la justice et pour le bien commun”.

La réciprocité (des dons) serait donc la matrice des valeurs humaines de solidarité, de responsabilité et de justice qui doit intervenir en priorité partout et toujours (la démocratie économique).

Benoît XVI se veut explicite :

« Si hier on pouvait penser qu’il fallait d’abord rechercher la justice et que la gratuité devait intervenir ensuite comme un complément, aujourd’hui, il faut dire que sans la gratuité on ne parvient même pas à réaliser la justice » [11].

Il reconnaît cependant qu’il devient nécessaire de prévoir un espace (de marché) où peuvent se représenter, agir et progresser librement les deux paradigmes antagonistes, ce que nous pouvons appeler une “interface de système”.

« Il faut, par conséquent, un marché sur lequel des entreprises qui poursuivent des buts institutionnels différents puissent agir librement, dans des conditions équitables » [12].

De la condition de la justice, que le libéralisme économique enlisait dans la liberté d’entreprise (chacun est libre de...), on passe à la condition de l’équité qui implique que la liberté d’entreprendre soit soumise au respect des conditions d’autrui (chacun est libre par rapport à…).

Benoît XVI conclut en exigeant un espace propre ou une territorialité qui permette l’actualisation de la réciprocité :

« À côté de l’entreprise privée tournée vers le profit, et des divers types d’entreprises publiques, il est opportun que les organisations productrices qui poursuivent des buts mutualistes et sociaux puissent s’implanter et se développer » [13].

“À côté de…” Sommes-nous revenus à la dualité, et à la coexistence pacifique de deux systèmes antagonistes ?

Ce serait ne pas saisir toute la portée de ce discours qui affirme au contraire que toute l’économie humaine doit être fondée sur la fraternité, mais qu’il convient de passer d’un paradigme à l’autre en respectant les expériences en cours. La suggestion de cette coexistence pacifique entre systèmes antagonistes grâce à ce que nous appelons territorialités doit s’entendre dès lors comme une stratégie et non comme une doctrine. La “charité dans la vérité” signifie qu’il faut donner forme et organisation aux activités économiques qui cherchent à aller au-delà de la logique de l’échange et du profit comme but en soi.

Benoît XVI ménage la transition en prenant notamment en compte les organisations lucratives à but humain :

« C’est de leur confrontation réciproque sur le marché que l’on peut espérer une sorte d’hybridation des comportements d’entreprise et donc une attention vigilante à la civilisation de l’économie » [14].

Doit-on entendre cette hybridation comme un syncrétisme entre une économie naturelle et une économie civilisée, un compromis entre l’économie de profit et l’économie de réciprocité, ou bien la confrontation est-elle “essentielle”, et l’hybridation une progression qui conduit de la barbarie à la civilisation… ?

L’économie n’est pas à l’origine une économie barbare qui aujourd’hui se civiliserait. Benoît XVI vient en effet de défendre la thèse que la réciprocité est le fondement intrinsèque de toute économie. Comment donc entendre la notion d’hybridation qui suppose la synthèse de deux termes initiaux ? À la différence des catholiques latino-américains qui utilisent la notion d’hybridation dans le sens de compromis entre systèmes économiques antagonistes, Benoît XVI parle d’hybridation de comportements, et l’on en revient à la distinction stratégique entre l’intention et l’action. Il y a des entreprises qui ont l’intention de servir le peuple mais qui sacrifient à la cupidité des actionnaires et il faut donc dire que cette intention doit désormais s’accompagner d’une attention vigilante pour ce qui est en train de civiliser l’économie !

Que veut dire civiliser ? Les capitalistes soutiennent que l’économie politique ne fait qu’appliquer les lois de la nature, et ils appellent même l’économie qui observe ces lois « l’économie naturelle ». Sans remettre en cause cette économie naturelle et sans plus de précision sur son origine, Benoît XVI demande la reconnaissance d’une économie humaine, sous le terme de civilisation de l’économie.

Il soutient que la civilisation opposera aux lois de la nature les valeurs que se donnent l’homme, valeurs qui lui appartiennent en propre comme le sentiment de la justice ou celui de la responsabilité.

Les matrices de ces valeurs  (lire la définition) doivent être non seulement préservées mais reconnues comme fondamentales parce que essentielles dans une économie civilisée. On doit être attentif, dit Benoît XVI, à ce processus de civilisation de l’économie. Il n’est donc pas question d’une évolution de l’économie naturelle à l’économie de réciprocité, il est question de libérer l’économie humaine de l’entreprise d’une économie qui ne se réclame que de la nature.

La Vérité n’est donc pas dans l’organisation capitaliste de l’économie mais dans l’organisation de la fraternité (la réciprocité universelle) qui doit être restaurée au sein de la plus importante des activités économiques : le marché.

Benoît XVI conclut :

« La charité dans la vérité (…) signifie qu’il faut donner forme et organisation… aux activités économique qui (…) entendent aller au de-là de la logique de l’échange (…) et du profit comme but en soi » [15].

La Raison s’est montrée capable de décrire le rapport d’intérêts obéissant aux lois naturelles parce qu’elle a su en respecter la logique. Comment pourrait-elle rendre compte de la production de valeurs humaines qui défient ces lois naturelles ? Si l’on reconnaît que l’Éthique fait partie intrinsèque de l’économie humaine, la Raison doit alors disposer de l’appareil logique adéquat pour rendre compte de sa genèse. Aussi, Benoît XVI n’hésite-t-il pas à demander l’élargissement des moyens dont dispose la Raison.

« C’est pourquoi l’amour et la vérité nous placent devant une tâche inédite et créatrice, assurément vaste et complexe. Il s’agit d’élargir la raison et de la rendre capable de comprendre et d’orienter ces nouvelles dynamiques de grande ampleur, en les animant dans la perspective de cette “civilisation de l’amour” dont Dieu a semé le germe dans chaque peuple et dans chaque culture » [16].

Benoît XVI se distingue de ses prédécesseurs en soumettant la charité, qui autorise que les bonnes intentions ne s’inquiètent pas outre mesure de la Raison, à la Vérité. C’est dans la Vérité que la Charité doit être active. Avouer la Vérité, c’est inviter à une refondation de l’économie sur le principe de gratuité et de fraternité universelle (la réciprocité).

C’est aussi reconnaître que tous les peuples de la terre disposent des matrices de l’économie, qu’il appelle dynamiques de grande ampleur, quand bien même elles sont submergées par la marée du libre-échange et du profit. C’est inviter à les ranimer par la Raison, une Raison à laquelle il convient désormais d’offrir l’outil nécessaire pour qu’elle puisse élargir sa compétence jusqu’à la maîtrise démocratique de l’économie.

Benoît XVI prépare-t-il une encyclique sur la Logique dynamique du contradictoire !? [17].

*
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Notes

[1] Lettre encyclique « Caritas in Veritate » (L’Amour dans la Vérité) du Souverain Pontife Benoît XVI (Joseph Ratzinger), le 29 juin 2009, § 36.

[2] Ibid., § 45.

[3] Ibid., § 46.

[4] Ibid., § 37.

[5] Ibid., § 46.

[6] Le passage sur l’économie que nous commentons de cette encyclique a-t-il été rédigé en latin avant que d’être traduit en diverses langues, ou en français avant que d’être traduit en latin ?

[7] Ibid., § 39.

[8] Jean-Paul II, Lettre encyclique « Centesimus annus », mai 1991, Chap. IV, § 42.

[9] Benoît XVI, Lettre encyclique « Caritas in Veritate », op. cit., § 47.

[10] Ibid., § 38.

[11] Ibid.

[12] Ibid.

[13] Ibid.

[14] Ibid.

[15] Ibid.

[16] Ibid., § 33.

[17] Cf. TEMPLE, D. (1998) “Le Principe de réciprocité en termes lupasciens”.


FORUM DE DISCUSSION

Mireille CHABAL dit :

“Caritas in veritate”, l’Encyclique de Benoît XVI (7 juillet 2009) propose une mise à jour de la doctrine sociale de l’Eglise (dans la fidélité, dit-il, aux positions de ses prédécesseurs), mise à jour qui repose sur une pensée forte (2000 ans de philosophie et théologie chrétienne) mais aussi excellemment informée des thèses les plus récentes d’anthropologie économique, comme la Théorie de la réciprocité.

Il y a un ver dans le fruit : l’acceptation du “profit”, même limité, révèle l’absence de rupture avec la complaisance de l’Eglise envers le capitalisme.

Ce n’est pas le capitalisme le plus sauvage qui est défendu. Il est même condamné : on ne peut se contenter de saupoudrer d’éthique l’économie, (des produits ne peuvent pas être “éthiques” !), l’économie doit devenir éthique de part en part.

Mais ne pas nier le profit [1], n’est-ce pas réintroduire par la fenêtre ce qu’on vient de chasser brillamment par la porte ? Qu’est-ce que le profit ? Peut-on se contenter de “mettre des limites au profit” ?

Il y a deux définitions du profit, (deux interprétations du rôle du Capital), qui donnent deux réponses à cette question.

Le profit c’est… la récompense du capitaliste dans la prise de risque de l’investissement de son capital. Autant dire le bénéfice. Définition libérale.

Le profit c’est l’appropriation de la plus-value produite par le sur-travail c’est-à-dire le travail non-payé. Marx. L’employeur capitaliste s’approprie une part de ce profit, les autres parties, la rente et l’intérêt étant aussi du profit dans cette thèse.

Karl Marx, Salaire, prix et profits, (XII), [http://www.marxists.org/francais/ma...]

« Les diverses parties entre lesquelles se décompose la plus-value.
 
La plus-value, c’est-à-dire la partie de la valeur totale des marchandises dans laquelle est incorporé le surtravail, le travail impayé de l’ouvrier, je l’appelle le profit. Le profit n’est pas empoché tout entier par l’employeur capitaliste. Le monopole de la terre met le propriétaire foncier en mesure de s’approprier une partie de la plus-value sous le nom de rente, que la terre soit employée à l’agriculture, à des bâtiments, à des chemins de fer ou à toute autre fin productive. D’autre part, le fait même que la possession des instruments de travail donne à l’employeur capitaliste la possibilité de produire une plus-value ou, ce qui revient au même, de s’approprier une certaine quantité de travail impayé, permet au possesseur des moyens de travail qui les prête en entier ou en partie à l’employeur capitaliste, en un mot, au capitaliste prêteur d’argent, de réclamer pour lui-même à titre d’intérêt une autre partie de cette plus-value, de sorte qu’il ne reste à l’employeur capitaliste comme tel que ce que l’on appelle le profit industriel ou commercial. »

Mettre une limite au profit… ce ne serait déjà pas si mal ! pour les partisans des deux définitions. Pour les premiers : réduisons les salaires des traders, supprimons les parachutes dorés des patrons… mais continuons d’accepter que l’intérêt égoïste gouverne le monde de l’entreprise et le monde de l’économie, voire le monde tout court.

Pour les seconds : le profit est toujours un mal, car c’est un gain aux dépens d’autrui comme le voyait Aristote. Le limiter est un premier pas mais ne saurait suffire pour que l’économie devienne éthique.

On peut faire l’hypothèse favorable que “ne pas nier le profit” signifie dans la doctrine de l’Eglise, ne pas nier l’existence du profit mais non le justifier.

Notes :

[1] “La charité dans la vérité, dans ce cas, signifie qu’il faut donner forme et organisation aux activités économiques qui, sans nier le profit, entendent aller au-delà de la logique de l’échange des équivalents et du profit comme but en soi.”

“Caritas in veritate, hac de re, significat formam et ordinem iis oeconomicis inceptis esse suppeditandum quae, licet lucrum non detrectetur, rationem aequorum permutationis bonorum et lucri rationem, quod per se tantum acquiritur, excedere volunt.”

*

Christian B. AMPHOUX dit :

Mercredi 23 mars 2011 13:00

Je viens de trouver le temps d’examiner plus en profondeur ton analyse du texte papal “Caritas in Veritate”. Et j’ai une observation préliminaire : Benoît XVI ne représente pas pour moi une autorité en matière économique, ses propos n’ont donc pas pour moi plus d’intérêt que celui d’un simple particulier. L’influence de l’Eglise catholique sur l’économie mondiale me paraît faible ; en revanche, que l’économie échappe désormais au contrôle du politique est grave, car nous élisons les politiques et n’avons plus par eux la moindre prise sur ceux qui dirigent l’économie.

Cela étant dit, Benoît XVI n’est pas un simple particulier, mais le dirigeant d’une confession religieuse qui tire celle-ci dans le sens d’un conservatisme abominable. Les valeurs de l’Eglise sont avant tout celle de la soumission aveugle à un clergé totalitaire qui décide de tout en matière de vérité scientifique, de vérité historique, sans référence à l’humanisme (jugé religion concurrente), sans prendre en compte l’évolution des mœurs, des mentalités, des conditions de vie. Une confession réduite à s’appliquer aux populations en situation d’oppression, mais incapable de parler aux sociétés qui ont acquis la paix sociale, la prospérité économique. D’où la désaffection que l’on observe en Europe, au fur et à mesure que la prospérité se développe.

Peut-on attendre d’un dirigeant aussi peu prophétique autre chose qu’un langage ambigu sans application concrète, de vaines paroles pour le plaisir de montrer un raisonnement qui tourne à vide ? Quand bien même l’échange serait montré du doigt (ce qui n’est pas le cas) et la réciprocité encouragée (ce qui semble être le cas), ce serait un discours ayant pour seul objectif d’asseoir l’autorité pontificale pour donner plus de force à ses diktats anti-humanistes, et tout cela au nom de l’Evangile. Quelle horreur !

Cherchons donc d’autres interlocuteurs. Que ne t’intéresses-tu, par exemple, à Ricoeur ou Lévinas, qui me paraissent avoir une vraie pensée dans le domaine éthique. Mais ce JR, quelle honte !

Amicalement,

Christian

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