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septembre 2014

La réciprocité homme-nature et les dérives de son abandon (par Eric Sabourin)

Éric SABOURIN

Que prend l’homme et que rend-il à la nature ?

La réciprocité homme-nature : au commencement était le rite

Comment expliquer que la nature ait pu être globalement conservée jusqu’au XXe siècle ? Les rituels garantissaient le respect de règles d’usage qui ont permis la préservation des ressources naturelles de génération en génération depuis les débuts de l’agriculture, au Néolithique, jusqu’à la moitié du XXe siècle, en dépit de progrès techniques constants même s’ils étaient plus ou moins maîtrisés. Lucien Scubla [1985] traite des fondements rituels de la réciprocité à partir des travaux de Hocart [1973 ; 2005]. Le recours au rituel envers les dieux et les génies impose aux communautés et aux sociétés le respect de règles et d’obligations qui permettent de maintenir des relations de réciprocité entre les hommes, et en particulier les règles de gestion et de préservation des ressources naturelles.

« […] dans tous les peuples et dans toutes les ethnies, c’est avant tout le rituel qui maintient l’unité du groupe et soutient la structure sociale » [Scubla, 1985, p. 26].

Lucien Scubla [ibid., p. 30] propose, avec Hocart, de :

« voir dans les services rituels que les hommes se rendent réciproquement le premier ciment des sociétés humaines, sinon le fondement ultime de la cohésion sociale ».

Il suffit de :

« mettre l’accent dans les religions sur le sacrement plutôt que sur le culte, sur le service rendu à l’homme, plutôt que l’hommage rendu au Dieu ».

La clé de l’explication est que le rituel n’est pas le fruit de la collaboration des hommes, mais c’est lui qui oblige les hommes à collaborer et à échanger des services réciproques. Le rituel, sur le plan symbolique, est source de vie, mais nul ne peut l’accomplir tout seul ou encore pour lui-même, enfin, seul est sacré ce qui a été consacré par un rite. L’exigence du rituel conduit donc à la collaboration entre au moins deux ou trois sujets, c’est-à-dire à l’alliance et à la relation de réciprocité intergénérationnelle, que Scubla appelle asymétrique.

Scubla montre le caractère ternaire de l’échange du point de vue anthropologique et mobilise une somme de références indiquant toutes la nécessité d’un tiers dans les « opérations d’échange » afin d’en garantir la possibilité, l’existence, mais surtout la justice ou l’équité pour la satisfaction des deux parties. Ce tiers peut être réel, physique ou bien symbolique, mais il n’est pas posé comme inclus, comme immanent à la relation. Il rappelle que si Mauss a présenté le don comme une forme archaïque de l’échange, il ne fait pas pour autant de l’échange la vérité du don, comme Lévi-Strauss. Pour Mauss, le don est premier et correspond à un transfert unilatéral (qui appelle à un retour) alors que l’échange est une opération bilatérale [Scubla, ibid., p. 23]. Mauss sort la notion de réciprocité de l’impasse de la relation symétrique entre don et contre-don en formulant la primauté de la structure ternaire qu’il identifie dans la théorie du hau Maori. Le hau correspond à l’introduction d’un tiers, d’une tierce personne, pour expliquer les rapports entre les deux premières [ibid., p. 24], précisément pour assoir le caractère ternaire de la relation des dons unilatéraux irréductible au caractère binaire de l’échange. Cette hypothèse sera prolongée par Temple et Chabal [1995] avec la proposition d’existence d’un « tiers inclus » dans toute relation de réciprocité.

(…)


Pour citer cet article : Sabourin Éric, « La réciprocité homme-nature et les dérives de son abandon », Revue du MAUSS 2013/2 (n° 42), p. 247-260. DOI : 10.3917/rdm.042.0247. Éditions La Découverte.

Article disponible en ligne à l’adresse : www.cairn.info/revue-du-mauss-2013-2-page-247.htm.

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