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février 2012

La réciprocité par la lucarne

Dominique TEMPLE

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Le Président de la république française Nicolas Sarkösy, traitant des relations internationales, déclare que la poursuite des relations de libre-échange entre l’Europe et les pays émergents doit s’inscrire dans des normes de réciprocité. Il le répète en liant la réciprocité à une fonction précise : la stabilité des échanges qui doit garantir la sécurité de l’emploi et les revenus de la société occidentale. Aussitôt, tous les candidats ou presque à cette élection ont fait appel à cette idée pour protéger l’Europe de la concurrence étrangère [1].

Cette anecdote souligne que la réciprocité est mise à l’ordre du jour non pas comme la base des prestations économiques mais comme un rempart pour arrêter une hémorragie spéculative. Elle est sommée de protéger les échanges contre ceux qui peuvent mettre en péril les avantage de ses bénéficiaires actuels, tout comme en leur temps les règles anti-monopolistiques furent instituées pour empêcher la concurrence entre les plus puissants d’être étouffée par le monopole. Il s’agit d’encadrer le libre-échange pour qu’il demeure le plus efficace possible.

Néanmoins, cette réciprocité entre en contradiction avec le principe du libre-échange dont les exigences intrinsèques sont indépendantes des désirs de ceux qui en maîtrisent les règles. Les pays émergents posent la question : qui maîtrisent les règles ? Le capitalisme est un système objectif et transnational.

On pourra donc bientôt soutenir que le capitalisme mondial est nécessaire pour juguler le national capitalisme ou toute autre dérive qui conduirait à un affrontement sans doute mortel pour tous. À partir de là, il est probable que la réciprocité soit envisagée comme une sauvegarde non pas des intérêts du plus fort mais de tous dans le droit fil des dernières suggestions de John Maynard Keynes qui avait envisagé cette hypothèse dès la fin de la seconde guerre mondiale, comme le rappelle Paul Jorion [2]. Voilà pourquoi il apparaît de plus en plus opportun aux capitalistes eux-mêmes de faire allusion à la réciprocité.

Cependant, la croissance, fût-elle assurée par la consommation de tous, rencontre une difficulté : les limites de la nature. La croissance exponentielle de l’exploitation capitaliste conduit à la surconsommation voire la consumation irrationnelle des richesses naturelles. L’économiste libéral voit dans ces limites un ressort : lorsque le gibier devient rare, l’élevage prend son essor. Il rappelle que depuis toujours la réduction de la nature a suscité l’artifice. Quand on lui fait remarquer que la consommation est aujourd’hui dopée par le crédit sans que l’on voie la fin de cette hémorragie, il répond que les crises sont là pour remettre les choses à niveau. Néanmoins, il admet que seule une économie justifiée par des raisons éthiques serait capable d’assurer un développement harmonieux de l’humanité. Or, la thèse éthique peut être réfutée au prétexte qu’elle est à la merci d’une volonté humaine non partagée par tout le monde et dépendante de l’imaginaire des uns ou des autres au point de conduire aux affrontements les plus redoutables. Il reste donc à produire les valeurs éthiques de façon rationnelle de sorte qu’elles soient communes à tous et exemptées de tout imaginaire par la raison.

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Notes

[1] Du candidat du parti socialiste à celui du Front national. M. Hollande promet d’imposer des règles de réciprocité aux productions en provenance de Chine pour garantir l’emploi. Il utilise le terme de réciprocité mais de façon plus confuse laissant apparaître que le principe de libre-échange est en effet inconciliable avec l’idée de soumettre les échanges à une norme de réciprocité. Sans doute consciente de la difficulté, Mme Aubry lui répondit (dans son duel pour l’investiture) que ce qu’elle entrevoyait était plutôt l’institution de règles conduisant au « prix juste ».

[2] Cf. Blog de Paul Jorion.


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