Publié par DIFFUSION INTI, 75462 Paris, cédex 10, 1983.
Jusqu’au XIXe siècle, les Mapuche étaient organisés par petits groupes, autrefois matrilinéaires, plus récemment patrilinéaires, de 80 à 200 personnes. Chaque communauté s’établissait sur un territoire où l’appropriation des ressources était familiale ou communautaire, sous l’autorité du Lonko (longko “Tête” en langue mapuche) [1]. Les femmes s’occupaient du jardin… les hommes chassaient… L’agriculture proprement dite était réduite et l’accès à la terre ne constituait pas une difficulté, en revanche, la pression sociale sur les ressources naturelles exigeait un constant rééquilibre. Le lonko gérait donc les différents statuts et veillait à l’équité de la redistribution jusqu’à ce que les déséquilibres, notamment dus à la diminution des ressources du territoire ou à la pression démographique, soient sanctionnés par un processus de fission de la communauté.
Les différents groupes issus d’une même origine restaient en communication par leurs relations de parenté et des relations de réciprocité. Ils formaient des sortes de congrégations qui s’alliaient des communautés voisines par une exogamie prononcée. Les membres de ces congrégations procédaient à des fêtes périodiques dont les rites témoignent de la structure de réciprocité spécifique des Mapuche – les plus importants sont le ngillatún et le palín.
À son origine, le ngillatun serait un rite de fertilité célébré tous les deux ou trois ans par chaque communauté. Ce serait donc peut-être la célébration du don comme origine de la vie sociale ; mais cette réactualisation des principes de l’organisation primitive serait aujourd’hui intégrée dans un cycle de relations plus complexes de réciprocité intercommunautaire [2].
L’initiative d’un ngillatun est prise par une famille qui s’adresse à des familles alliées des communautés voisines, et non pas par le Lonko, le chef de la communauté hôte. Cette autonomie du choix des alliances ne peut cependant remettre en question l’unité de la réciprocité communautaire, car une famille ne peut proposer un ngillatun sans que la totalité des familles de sa communauté ne réagissent aussitôt et ne répondent à cette initiative en reproduisant cette invitation, chacune à ses alliés.
« Ainsi entre les familles de la communauté invitante se déroule aussitôt toute une série de communications ritualisées dès le moment où la décision d’offrir un ngillatun est prise ; une ambiance de fête et de sacrifices mutuels, quoique envieux, s’étend à toute la communauté dès qu’est connu le nombre d’animaux et de quelle espèce chaque famille pense sacrifier pour fêter ses invités particuliers [3]. »
On peut dire que le pouvoir de la réciprocité verticale représenté par l’autorité du lonko est ici relayé par le contrepouvoir des relations de réciprocité horizontale des familles de communautés différentes, et l’on peut déjà remarquer que ces réseaux d’intérêts familiaux rendent difficiles les affrontements des communautés en tant que totalités rivales. Une conséquence de ce système mapuche est que les relations de réciprocité entre familles alliées de communautés différentes deviennent des relations bilatérales appelées des “dyades” [4], et qui peuvent apparaître à une observation superficielle comme des échanges.
En réalité, ces dyades sont ordonnées à des tiers [5] car toute famille qui prend l’initiative d’un ngillatun engendre, comme on l’a vu, la réciprocité des autres familles de sa communauté.
D’autre part, chaque famille tente d’inviter ou de s’allier non pas un partenaire mais le plus grand nombre possible, c’est-à-dire qu’il tente de multiplier les dyades.
Ces relations bilatérales sont donc engagées comme éléments d’une chaîne ou d’un réseau de réciprocité.
Mais la dyade n’est pas seulement un chaînon économique devenu passif d’un système de réciprocité ouvert en amont et en aval. Elle demeure elle-même un fait de réciprocité vivant et irréductible à un échange. On sait que lorsqu’une structure de réciprocité se referme sur elle-même, la reproduction du don par les donataires équivaut à une surenchère sur le don du donateur. C’est cette surenchère qui en réalité est tout le don du contre don [6], et l’on sait également que lorsque la consommation est saturée, il ne reste pas d’autre solution pour que le cycle économique se poursuive que de suppléer la consommation par la consumation des enchères, c’est le principe du potlatch [7].
Or, la dyade est une figure de réciprocité fermée qui, lorsque toutes les alliances possibles sont réalisées, donne effectivement naissance à des consommations ostentatoires, voire à des consumations de type potlatch.
Le palin est un jeu comparable au hockey, qui est ordonné à la fête et surtout à de grands festins. Anciennement, le jeu de palin était à caractère essentiellement guerrier.
Le processus de la réciprocité sous-jacent de ces jeux et festivités rituelles est à peu près le même que celui du ngillatun.
L’organisateur invite personnellement un joueur d’une communauté voisine et par des fêtes ou invitations s’assure de la solidarité (réciprocité) de ses proches ou alliés, jusqu’à ce que huit d’entre eux aient établi des relations bilatérales dans la communauté défiée.
Chaque membre de l’équipe invitante assume seul la réciprocité de la fête à laquelle il convie son “kon” (partenaire), celui-ci devra reproduire l’invitation un an plus tard et faire preuve à son tour de générosité mais de manière strictement égale [8], et ceci quelle que soit l’issue de la partie de palin. Le jeu n’est donc pas une compétition dont le vainqueur pourrait attendre un avantage, mais la figure, la représentation d’une structure de réciprocité.
Si pour la formation des paires de joueurs, le mécanisme de réciprocité est évident (le jeu ne peut se dérouler que si l’organisateur a motivé la réciprocité de huit de ses compagnons jusqu’à constituer les neuf dyades nécessaires), il n’est pas possible d’inviter plusieurs communautés au tournoi, et chaque partenaire est tenu à une seule relation de réciprocité avec son “kon” de sorte que le processus de réciprocité est ici arrêté par une dualité (de communauté) et une égalité (de joueurs).
Comment s’expliquent cette dualité ?
La réponse semble se déduire du principe même de la réciprocité du don car lorsque la reproduction du don vers des tiers est impossible, la société, ne pouvant s’engendrer, se réduit par la force des choses à la dualité de communautés rivales. Lorsque deux communautés ne peuvent établir de relations d’alliance de parenté et de réciprocité économique par la reproduction du don ou la surenchère, elles sont virtuellement en état de guerre. C’est alors la “réciprocité négative” qui prévaut [9].
C’est cette antinomie, l’état de guerre entre totalités communautaires, qui peut être ici dépassée par des relations de réciprocité entre les sous-ensembles des communautés en question, c’est-à-dire les familles elles-mêmes [10].
La richesse des festins des relations dyadiques, voire les potlatch interfamiliaux, viennent surmonter la contradiction des communautés.
Ici comme ailleurs, le jeu est cette “première révolution” qui transcende “l’état de guerre” pour instituer la “société civile”, mais elle la transcende au niveau des sous-ensembles lorsque cela est impossible au niveau des ensembles. C’est ce que corrobore l’observation d’un “ancien” Mapuche Pascual Coña (1973:29) :
« Le jeu [du palin] dans un passé récent servait à résoudre des contradictions entre communautés et éviter des conflits armés [11]. »
Pour S. Nadel (1957:86) [12], les relations dyadiques sont importantes pour des tiers qui sont en position de juger si elles sont ou non favorables à leurs intérêts. Elles seraient donc dépendantes d’un complexe d’ordre supérieur. Il parle de triadisation de relations dyadiques.
Milan Stuchlik souligne :
« une telle triadisation aide à intégrer les participants de ces contrats à une entité plus grande, et chaque institution même la plus complexe, peut se réduire à une série de ces contrats dyadiques et triadisés [13]. »
Effectivement, les Mapuche ne perdent jamais de vue les relations qui existent entre eux, ni les implications que chacune d’elles peut avoir sur toutes les autres. Aussi peut-on considérer la multiplication des relations dyadiques comme une intégration à une sorte de réciprocité généralisée. F. Barth (1966:4) les appelle des « relations d’incorporation » [14]. La totalité ethnique serait ainsi un tiers collectif qui imposerait une réciprocité de type vertical aux relations de réciprocité horizontale.
Mais Stuchlick répond cependant que :
« comme l’implique le concept même de la réciprocité, il y a des limites à l’inégalité des avantages que les individus sont disposés à tolérer comme prix d’une telle incorporation, que celle-ci soit celle de la famille, de la communauté ou de la nation [15]. »
et il constate que ces limites se « dramatisent » dans nombre de célébrations ou travaux communautaires de la société mapuche.
Les Mapuche, en effet, n’acceptent pas que l’identité individuelle soit submergée par celle du groupe, et récusent même les redistributions des organisations unitaires et collectives (des sociétés de type inca par exemple) afin de préserver leur autonomie familiale.
Ces auteurs considèrent cette résistance des Mapuche à l’organisation collective comme le résultat d’un choix psychologique parce que l’organisation unitaire et hiérarchique se traduirait par des contraintes, tandis que les relations symétriques égalitaires se traduiraient par la confiance et l’amitié.
Le recours à des interprétations psychologiques n’est peut-être pas nécessaire.
Si l’on considère la réciprocité intercommunautaire de la société mapuche, telle du moins qu’elle se “représente” dans le ngillatun, il n’apparaît pas que ce soit tant l’unité communautaire qui impose ses critères d’existence que la propension de la société à s’engendrer par le don et la reproduction du don – par la réciprocité donc – adressée au tiers ; une réciprocité égalitaire, une « triadisation [16] » plus « horizontale » que « verticale ».
Le jeu de palin montre de plus que la tendance des totalités à imposer une triadisation verticale est nettement contrôlée, dès le moment où cette tendance conduirait à la guerre, par l’autre tendance de la triadisation horizontale, celle des familles individuelles qui impose la paix.
Pourtant, lorsque la société toute entière est menacée, ces relations de paix interethniques servent à leur tour de relai à une intégration d’ordre supérieur et de type vertical afin de permettre l’unité de commandement pour la guerre.
La société mapuche articule donc la réciprocité horizontale sur la réciprocité verticale, puis celle-ci sur celle-là en une structure spécifique qui confère une grande souplesse à son tissu social ethnique.
La contradiction entre la réciprocité horizontale et la réciprocité verticale paraît le facteur déterminant de la contradiction des systèmes inka et mapuche.
Au XVe siècle, sous l’autorité de Tupac Yupanqui, l’empire Inca s’étend sur le nord du Chili et repousse les Mapuche sur le fleuve Maule situé au centre géographique du pays.
Les communautés indigènes du nord du Chili sont incorporées au système incaïque ; les Incas procèdent à des déplacements de population, à des colonisations et à des concentrations, ils remplacent les autorités locales par des dirigeants coloniaux ; enfin, ils soumettent les statuts au tribut ou à des finalités qui échappent au contrôle des autochtones.
Lorsque les Espagnols arrivent au Chili, venant du Pérou, les populations du nord n’offrent aucune résistance. Peut-être même étaient-elles disposées à accueillir favorablement de nouveaux seigneurs. Les Incas pratiquèrent, eux, une politique d’alliance avec ceux qu’ils croyaient être une société supérieure de même nature que la leur.
Puis la frontière entre le nord et le sud se stabilise sur le fleuve Bío Bío entre Mapuche et “Incas espagnols”.
Au début du XIXe siècle, le Chili négocie l’immigration de colons allemands pour s’emparer des terres mapuche. Ceux-ci débarquent à Valdivia, place forte en territoire mapuche, conservée par la garnison chilienne malgré la reconquête indigène. Les Allemands créent Puerto Montt, à 1035 km au sud de la capitale, et s’emparent des meilleures terres d’Araucanie. Mais c’est seulement en 1884, à l’issue de la Guerre du Pacifique (1879-1884), que les armées chiliennes, victorieuses de la Bolivie et du Pérou et retournées contre les Mapuche, permettent l’application d’une législation préparée en 1866 – la Loi Indigène – à l’origine des Réductions [17].
Du XVIIe au XIXe siècle, les Mapuche avaient adopté des technologies espagnoles avec succès et s’étaient naturellement convertis en agriculteurs qui commercialisaient surtout du bétail avec les Espagnols. La relative abondance de leurs terres leur permettait encore de se déplacer selon les antiques coutumes est d’utiliser des systèmes d’exploitation à longues jachères. Ce fut une époque de richesse dont témoigne l’orfèvrerie, mais la « pacification » devait immédiatement plonger le peuple mapuche dans la misère.
Le territoire fut en effet réparti en deux parts : 9 millions d’hectares furent fiscalisés et redistribués soit aux militaires démobilisés à raison de 40 hectares par homme, soit adjugés en « encomiendas » (grandes exploitations) à des colons à raison de 500 hectares, ceux-ci ayant en charge la « protection-civilisation » des communautés établies sur ces terres, tandis que 475 422 hectares seulement étaient laissés aux Mapuche recensés, soit 77 841 familles, les autres étant ignorées.
L’objectif de ces assignations était la sédentarisation des communautés indiennes car « ne reconnaissant pas de domicile fixe et n’ayant pas acquis d’habitudes de propriété, ils ne peuvent ni libérer de terres au bénéfice des colons, ni libérer de main-d’œuvre pour le travail agricole de ces dernières ».
L’octroi de Titres communautaires n’a pas pour but de respecter une forme d’existence spécifiquement indienne mais, bien au contraire, de commencer sa dissolution.
Entre 1884 et 1929, l’État chilien distribue 3078 Titres et la Loi n°4169 du 29 août 1917 crée un tribunal pour diviser les territoires communautaires et instaurer la privatisation. La loi prévoit d’attribuer celles de ces terres qui auraient une vocation agricole à des paysans chiliens, et 100 000 hectares seront ainsi encore repris aux Mapuche.
En entrant dans le système des Réductions, les Mapuche doivent survivre sur des terres de plus en plus réduites où les pâturages sont rapidement épuisés, où la rotation des cultures accélérée provoque la dégradation des sols ; aussi, en apparence, se transforment-ils en petits agriculteurs.
« Le projet du gouvernement chilien envisage la progressive division des Réductions en terrains de propriété individuelle de familles qui au départ formaient un groupe [18]. »
Les communautés deviennent même des réserves de main-d’œuvre pour les haciendas (grandes fermes) alentour et les territoires de colonisation.
L’accès à la Terre est devenu le problème économique essentiel et c’est lui qu’en priorité la communauté mapuche doit contrôler par son système de réciprocité. Pour cela, les Mapuche utiliseront deux systèmes coloniaux qu’ils réinterprèteront : l’héritage et l’exploitation du système dit à moitié (mediería).
Les Titres communaux ont été accordés au nom du chef de la communauté à tous les chefs de familles recensés considérés comme premiers occupants, et ceux-ci ont le droit de transmettre leurs participations à leurs descendants [19].
Les Mapuche interprètent le droit ainsi : le fils travaille avec son père jusqu’à son mariage, puis il peut demeurer à la maison paternelle avec les siens ou obtenir par héritage un terrain pour construire sa maison et cultiver son jardin : il poursuit sa collaboration avec son père dans une relation dite alors de moitié (il obtient la moitié de la récolte sur les terres qu’il met en valeur).
Cette situation peut être modifiée suivant le nombre d’enfants qui doivent accéder à l’autonomie, le nombre de terres reçues de leurs femmes ou les possibilités d’alliances économiques de chacun d’eux ; le père distribue ses terres sans qu’aucune norme de partage ne vienne prévaloir sur le principe de constituer des unités de production viables. C’est le principe de la redistribution qui assure ici l’équilibre communautaire.
La succession est patrilinéaire et matrilinéaire, mais le droit des femmes n’est actualisé que pour compléter le droit des hommes et parvenir à une répartition équilibrée des diverses ressources.
L’homme reçoit donc théoriquement une terre de son père, une terre de sa mère et une terre de sa femme. En réalité, il ne dispose jamais des trois classes de terre, car deux d’entre elles (celles des femmes) n’interviennent que complémentairement à la troisième pour reconstituer des unités de production cohérentes. Mais pratiquement toutes les familles, en plus de leur terre dans leur propre Réduction, disposent aussi de terres dans d’autres Réductions [20].
On peut considérer que le système de redistribution communautaire des Mapuche réinterprète le droit à l’héritage imposé par la colonisation, ou encore que le développement du système de redistribution mapuche, du fait des limites imposées par la colonisation, contraint à considérer les moyens de production eux-mêmes comme des valeurs de redistribution.
Le système de moitié (« mediería ») permet de reconstituer des unités de production compatibles avec les statuts particuliers de chacune des familles mapuche, et ce à partir de la parcellisation obtenue par la redistribution des terres [21].
Les Mapuche ont emprunté cette institution aux Chiliens, mais ils l’ont complètement transformée, invertie de sens. À l’origine, il s’agit d’un contrat entre propriétaire d’un moyen de production et ouvriers disposant de la force de travail : la production est divisée en deux parts. Dans le système colonial, le propriétaire assume une position dominante sur celle de l’ouvrier. Dans le système mapuche, le “possesseur” et “l’utilisateur”, pour employer la terminologie de l’ethnologie chilienne, sont des associés dont la situation est « réciproque ». C’est-à-dire que le même individu est à la fois possesseur et utilisateur : il prête les moyens de production à un associé qui les utilise, mais il utilise lui-même les moyens de production d’un autre ou du même associé : la relation de réciprocité est évidente : chacun est à la fois dans une situation de recevoir et de donner : « la position mutuelle qui en résulte est donc égalitaire », souligne Milan Stuchlik [22].
Le système permet d’adapter aussitôt les statuts particuliers aux divers moyens de production et de rééquilibrer des unités de production–consommation communautaires. Milan Stuchlik donne l’exemple d’une famille de trois femmes (une mère et deux filles non mariées) qui donnent en moitié trois parts de terrain à trois partenaires distincts, deux bœufs à un quatrième, 18 brebis à deux autres et une terre (héritage de la mère) à un septième, tandis qu’elles-mêmes cultivent une terre à blé qu’elles reçoivent en moitié d’une famille d’une autre communauté que la leur [23].
Le système de mediería a été considéré comme une forme de contrôle écologique, un mécanisme de régulation du cycle économique, un mécanisme d’assurance mutualiste pour chaque unité domestique. Mais il est plus que cela : il est une relation au tiers qui engendre un réseau de relations économiques et sociales de réciprocité, qui se ramifie d’ailleurs grâce à la multiplication des relations de moitié pour chaque unité de production. Le système permet même à une famille d’exploiter sur sa Réduction les terres d’une famille située sur une autre Réduction et vice-versa comme s’il s’agissait d’une matérialisation géographique de relations dyadiques. On peut donc considérer le système de moitié mapuche comme une adaptation de la réciprocité traditionnelle aux conditions de sédentarisation imposées par la colonisation.
Ce système enraye la privatisation prévue par l’État et enraye la réduction de l’économie indigène à celle d’un mode de production domestique. Elle permet de transcender à la fois le cadre collectif de la Réduction et le cadre de l’unité de production domestique, par une forme de relations interfamiliales qui maintient vivantes les caractéristiques du tissu social mapuche.
Outre l’interprétation du droit d’héritage en termes de redistribution et celle du système de moitié en termes de réciprocité, les Mapuche d’aujourd’hui utilisent des formes de solidarité traditionnelles de réciprocité productive :
Le mingaco (ou minga) était autrefois l’aide due par le groupe à chaque famille pour les travaux qui dépassaient ses capacités de force de travail (récoltes, construction des maisons, etc.). Aujourd’hui, cette aide est sollicitée par le chef de famille qui invite personnellement ses parents, amis ou voisins à une fête, une redistribution qui meut la réciprocité productive, le travail collectif.
C’est aussi cette relation qui est traduite par la tradition du keluwn, mais l’initiative est prise ici par les travailleurs qui proposent spontanément leur participation : la redistribution est induite par la réciprocité productive [24].
La réciprocité peut enfin se réduire à des relations bilatérales (vuelta-mano [25]). La différence avec l’échange est que c’est l’avantage du demandeur qui est pris en compte dans l’évaluation des services complémentaires entre voisins immédiats.
Les Mapuche utilisent enfin le troc, l’échange et les relations monétaires, mais qui sont pour l’essentiel réservés aux non Mapuche.
Aujourd’hui, la base de la subsistance économique des Mapuche est l’agriculture extensive pratiquée en forme de culture rotative de deux à trois ans, avec un minimum de 5 ans de jachère. Les Mapuche produisent principalement du blé, alterné avec l’avoine destinée au fourrage. La deuxième occupation est l’élevage (le bœuf pour le trait, la vache pour le lait et le veau comme réserve financière ; le mouton pour la laine, l’agneau pour la viande et la vente, enfin le cheval comme moyen de transport mais aussi comme expression du prestige social). Le jardin domestique, ombragé de quelques fruitiers, fournit surtout des pommes de terre, des haricots, des légumes. La basse-cour complète ce tableau rustique d’une vie paysanne autarcique. Les statuts de production sont répartis ainsi : le père à l’agriculture, la mère au jardinage et à l’artisanat, les enfants à la garde des troupeaux, les fils au travail salarié [26].
La communauté familiale apprécie sa richesse à la possession de chevaux, puis au nombre de bœufs et de brebis, à l’équipement de la maisonnée. Sur cette apparence, on pourrait croire que les Mapuche sont de petits agriculteurs individualistes. Nous avons vu qu’en réalité, l’économie mapuche reposait sur un réseau complexe de chaînes de réciprocité interfamiliales qui n’a que fort peu à voir avec des unités de production domestiques.
Mais il est pourtant vrai que celles-ci existent et établissent avec la société étrangère des relations d’échange, de vente et d’achat, de commerce monétaire, qui à leur tour expliquent les théories d’intégration ou d’assimilation de l’État chilien.
Selon les plus récentes analyses chiliennes de la société mapuche, dès la création des Réductions, les Mapuche doivent se transformer en paysans, qui épuisent rapidement les possibilités offertes par l’agriculture sur des territoires trop restreints. De l’état de richesse, la société mapuche entre dans l’état de pauvreté, et les communautés vont devenir, comme le prévoit le colonisateur, une réserve de main-d’œuvre à bon marché ; car ce processus de paupérisation de l’économie paysanne contraint les familles mapuche à compléter leurs ressources par le travail salarié dans les haciendas voisines [27].
Il s’établit un relatif équilibre entre l’hacienda et la communauté. Le paysan mapuche est à la fois producteur indépendant et salarié, mais il n’a pratiquement pas accès au marché car toute sa production est autoconsommée par sa famille.
La mécanisation de l’agriculture est un facteur de perturbation de cet équilibre qui coïncide avec l’urbanisation du pays, aussi, le travail salarié se déplace-t-il de l’hacienda à l’industrie pour donner naissance à un sous-prolétariat mapuche urbain et surtout au phénomène de migration temporaire puis définitive.
La crise de l’agriculture chilienne et particulièrement celle du blé à partir des années 1970, vient accélérer ces phénomènes, car les colons convertissent leurs propriétés céréalières en propriétés d’élevage dont les besoins en main-d’œuvre sont moindres.
L’épuisement des sols indigènes surexploités sous l’effet de la pression démographique renforce encore la migration. En 1980, un tiers de la population mapuche tente de trouver du travail à la ville ou en Argentine. Enfin, l’actuelle privatisation des terres des communautés réduit l’espace mapuche à n’être qu’un espace de reproduction de force de travail pour des activités productrices extrarégionales, un espace d’autosubsistance pour des familles génératrices de main-d’œuvre temporaire. On peut observer aussi que l’économie rurale mapuche ne saurait se réduire à une économie isolée et autarcique qui se refuserait à la connaissance des lois du marché, car une part de la production agricole et de l’élevage (1/3 environ) est destinée au marché. José Bengoa note que 50% de la basse-cour est produit pour le marché monétaire et que le bétail, s’il représente un capital de redistribution pour les grandes occasions, peut être aussi considéré comme un capital monétaire thésaurisé. Cet auteur déduit de ces observations que si l’économie mapuche n’investit pas davantage dans les relations d’échange, c’est que devant l’insécurité du marché et la faiblesse des prix, enfin, le manque de terres, les paysans cherchent refuge dans l’autosubsistance, elle-même insuffisante, et sont alors contraints à la fuite, à l’émigration, à s’expatrier dans le sous-prolétariat.
Le procès capitaliste engendre ici l’autosubsistance, la réciprocité, le salariat et l’émigration.
L’auteur conclut :
« La “question mapuche” ne se résout pas à la pauvreté indigène […]. Pour nous, subsistance et migrations forment un tout cohérent avec le développement du capitalisme agraire en notre pays. C’est le cadre adéquat pour comprendre le phénomène indigène. Nous avons dit ailleurs que le développement capitaliste dans ses phases les plus avancées, “ordonne et hiérarchise” tous les secteurs du pays, tous les groupes sociaux et les fait fonctionner selon ses intérêts : c’est ce qui se passe dans ce cas [28]. »
Cette théorie, que j’appellerai de “la misère capitaliste”, a certes sa cohérence et sa part de vérité, mais elle masque mal une idéologie d’intégration : l’économie indigène est considérée comme une économie paysanne potentielle prête à s’adapter au marché et à la concurrence, mais qui serait paralysée par la surexploitation coloniale, en somme, une économie précapitaliste. L’économie de redistribution et réciprocité est ramenée à l’économie de subsistance ou à un mode de production domestique stérile qui résulterait d’une réaction de repli de la population face à sa surexploitation. Enfin, le migrant, voire le salarié, est considéré comme en situation de rupture vis-à-vis de sa communauté, et, à partir de là, comme l’origine d’un sous prolétariat.
Il est vrai qu’un nombre important de Mapuche travaillent hors des Réductions comme ouvriers dans les propriétés chiliennes ou dans l’industrie où ils acquièrent les liquidités monétaires pour obtenir des valeurs étrangères convoitées. Mais, en réalité, et cela est important, ce ne sont pas les mêmes Mapuche qui sont producteurs et salariés. Certes, les Mapuche apprennent par le travail salarié à actualiser et maîtriser les processus de l’échange monétaire avec les colons et à améliorer les conditions de ces échanges avec la société chilienne, mais de façon très générale, les salariés sont des jeunes gens célibataires dont les revenus sont intégrés à l’économie familiale. Le statut de ces migrants temporaires est donc complémentaire des autres statuts et tributaire des structures de redistribution et réciprocité.
La situation de l’ouvrier industriel n’est différente que dans la mesure où du fait de l’éloignement il doit assumer sa propre subsistance. Il continue à dépendre de sa famille à laquelle il apporte des valeurs de prestige, en particulier des tissus étrangers ou une part monétaire. Il peut fonder à la ville une famille, centre économique mapuche urbain, dont les relations de réciprocité sont alors interfamiliales. Nous ne préciserons pas ici les formes de réciprocité mapuche de cette colonisation mapuche urbaine, mais il faut souligner que celle-ci peut être considérée comme une extension de la société mapuche et peut avoir une autre détermination que celle proposée par la théorie de la misère capitaliste : le principe de la migration comme celui du salariat peut être dicté par l’extension des structures de réciprocité et l’acquisition de nouveaux statuts car, pour les Mapuche, le statut de migrant est une promotion sociale qui marque la réussite d’une famille capable d’établir des relations de réciprocité jusque sur le territoire étranger – et y compris au niveau culturel – c’est-à-dire jusqu’à acquérir des formes de prestige social occidental. C’est une des raisons qui permet de dire qu’il existe toute une élite mapuche, actuellement masquée sous des dehors chiliens ou occidentaux, mais dont les principes de réciprocité sont toujours en vigueur.
S’il ne semble pas faire de doute que la réduction des terres et la baisse des prix agricoles favorisent le choix d’un travail salarié urbain, ce n’est pas pour autant que l’on doive conclure que la contrainte de la misère soit le seul principe de l’émigration – l’hypothèse d’une extension du système de réciprocité, hypothèse moins conjoncturelle, permet aussi de considérer que l’économie mapuche est non pas orientée vers le marché monétaire, comme le serait une économie précapitaliste, mais au contraire, que cette orientation n’est qu’un statut acquis par une économie de redistribution pour s’adapter à la nature du système occidental et faciliter l’acquisition de ses valeurs – un statut rapporté d’ailleurs à la frontière de l’économie de réciprocité : les échanges monétaires sont en effet essentiellement réservés aux non Mapuche. Ainsi, salariat et migration apparaissent comme des extensions du système mapuche.
Les Mapuche interrogés sur la contradiction de ces deux thèses reconnaissent volontiers qu’actuellement la contrainte est telle que certains des leurs s’expatrient pour vivre, mais ils ajoutent que ce n’est pas leur principale motivation. Ils précisent que si les conditions devenaient plus saines, elles ne modifieraient pas la tendance qui au contraire s’amplifierait, quoique alors, ce ne serait pas nécessairement les mêmes personnes qui seraient concernées.
Les protestations des Mapuche à la division des terres trouveront un écho en 1961 où la loi prohibera l’aliénation du territoire indigène si celle-ci n’est pas demandée par au moins 30 % des paysans.
Sous le gouvernement du président Allende, les représentants des communautés, groupés en associations régionales mapuche, se réunissent en congrès à Temuco pour discuter d’une nouvelle loi qui sera promulguée le 26 septembre 1972 (n°17729) ; elle porte la limite du pourcentage de pétitions à partir duquel les terres communales peuvent être privatisées à 50%. La loi, cependant, incite les paysans à la privatisation, car elle précise que si la division des terres aboutit à des lots insuffisants pour que chaque propriétaire dispose d’une superficie égale à l’unité agricole familiale, telle que celle-ci est définie par l’article 1 de la Loi 16610 de la réforme agraire, l’Institut de Développement Indigène assignera aux intéressés les terres complémentaires les plus proches. Elle prévoit la restitution des terres aux Mapuche provenant du fond d’exploitation des grands propriétaires. L’Institut de Développement Indigène propose de constituer des entreprises de coopératives sociales, des entreprises collectives agricoles sur la base des Réductions [29].
En 1978, le gouvernement du Général Pinochet décide, après avoir abrogé la loi d’Allende et remplacé l’Institut par des juges, de poursuivre l’intégration mapuche au prolétariat et au paysannat chilien. La nouvelle législation en effet (n° 2568) déclare dès l’article 1 du chapitre 1 « qu’à partir de l’inscription au registre de propriété, les parcelles résultant de la division des réserves cesseront d’être considérées comme terres indigènes et que les adjudicataires cesseront d’être considérés comme indigènes ». Le chapitre II dans son paragraphe 2 article 10, précise que « le procès de division des réserves commencera […] à la demande écrite de n’importe quel occupant de celle-ci », et l’article 23 ajoute « le juge ordonnera la décision et la répartition des parcelles avec l’aide de la force publique ».
Fustigeant les progressistes de gauche, le ministre de l’Agriculture de l’époque écrit :
« Cela paraît une plaisanterie que l’on puisse prétendre défendre des mesures collectivistes au nom d’un peuple dont le superbe individualisme écrivit une des pages les plus héroïques de l’humanité […] c’est un fait que les Mapuche qui vivent et travaillent dans les réserves se sont divisés entre eux, ce qui prouve qu’ils aspirent à la propriété privée ».
L’auteur n’a pas tort de contester que les Mapuche ne soient pas prédisposés à des structures de production collectivistes.
Même si les communautés mapuche étaient régies par réciprocité verticale, sous l’autorité du Lonko par exemple, et organisées en communautés collectives, cela ne serait pas pour autant une base pour une économie de production sociale car, pour une économie indigène, l’unité est d’abord une sphère de redistribution.
D’autre part, à ceux qui prétendraient que la transformation d’une économie de redistribution en économie de production serait plus efficace en termes de propriété collective sur la base des Réductions qu’en termes de propriété privée sur la base des unités domestiques, il faut faire observer que les structures de réciprocité mapuche ne sont pas dominées par une triadisation verticale mais, au contraire, par une triadisation horizontale, c’est-à-dire que le cadre de la Réduction ou tout autre cadre collectif reste une base qui, comme le soulignait Stuchlik, « est impropre au développement de la réalité mapuche contemporaine ».
Mais, c’est une erreur encore plus grave que de considérer l’autonomie des familles mapuche comme une aspiration à la privatisation. Cette autonomie et au contraire la condition de la réciprocité, et lorsque les Mapuche individualisent leurs centres de redistribution, ils n’entendent pas pour autant privatiser la production, bien au contraire. Une privatisation des moyens de production les placerait en position de concurrence les uns vis-à-vis des autres alors que le principe même de la redistribution est d’outrepasser toute frontière privée afin de créer la solidarité ou réciprocité productive qui est essentiellement contradictoire de la concurrence, qui, elle, conduit à la privatisation.
La privatisation apparaît aux Mapuche comme anti-économique de la réciprocité productive, de la production elle-même ; de même que la collectivisation leur apparaissait comme une dépossession du principe de redistribution dont ils sont tous les centres autonomes.
Entre l’ethnocide économique de gauche “l’économicide
de gauche” et l’ethnocide de droite “l’économicide de droite”, le peuple mapuche n’a pas, semble-t-il, encore trouvé d’interlocuteurs compétents.
Lorsque le projet du général Pinochet est connu, un groupe “informel et pluraliste” de responsables Mapuche, d’ethnologues et de techniciens (ONG), décide de sensibiliser les autorités morales encore présentes au Chili au problème mapuche. Il parvient à convaincre les autorités religieuses d’offrir une protection à la résistance mapuche.
Le Conseil Œcuménique des Églises [30] proposera à l’Église catholique une concertation commune en vue d’une défense unitaire des communautés indiennes. Mais le plan sera refusé par le Conseil diocésain de Temuco, qui n’expliquera pas ces motifs…
Cependant, le Conseil Œcuménique des Églises contraindra l’Église catholique à l’unité, en proposant de soumettre toute action concrète de son initiative, en faveur des communautés, à la propre autorité de l’évêché de Temuco. L’Église catholique accepte le principe mais aussitôt demande aux techniciens et ethnologues de son obédience de renoncer à leur autonomie informelle. Elle accepte d’étudier leurs suggestions à la condition qu’ils deviennent les assesseurs officiels de l’Institut Indigène Catholique et que les dites suggestions soient placées sous la caution des « Droits de l’Homme » pour enrayer toute infiltration d’idées marxistes [31]. Ces techniciens acceptent et fonderont le C.A.P.I.D.E. (Centro Asesor y Planificador De Investigación y Desarrollo [32]), tandis qu’une assemblée mapuche est convoquée sous le couvert de l’Église catholique pour connaître le projet de loi : « Tout ce que demande l’Église – déclare alors l’évêché – est que dans l’élaboration de la nouvelle loi, l’opinion des Mapuche soit prise en compte ».
Le 12 septembre 1978, 115 Mapuche de 90 communautés de la VIIIème et IXème région, analysent le projet de Pinochet, et, au soir de cette assemblée, décident la création des « Centres Culturels Mapuche ».
Le Pouvoir tente d’interdire les Centres culturels et arrête neuf de leurs dirigeants, détenus à Panguipulli au sud du Chili, puis, devant la menace d’un soulèvement populaire impossible à définir et à réprimer, les libère mais crée aussitôt les « Conseils Régionaux Mapuche » pour doubler les Centres culturels d’une organisation officialiste.
Entre le 15 et le 18 décembre 1980, les secondes journées nationales des Centres Culturels Mapuche établissent un programme d’action. Le Congrès (Aukínko n°1) n’obtiendra d’existence légale que sous la déclaration notariée d’« Association générale de petits agriculteurs et artisans » qui prend le nom de AD-MAPU (« Coutumes-Territoire »).
Les partis politiques posent la question mapuche en des termes neufs et la presse offre une résonance publique au fait ethnique car elle ne peut en effet traduire aucune idéologie de gauche et se trouve, par la force des choses, intéressée par les caractéristiques d’Ad-mapu. Pour la conscience politique chilienne, la question mapuche devient un fait national. Grâce aux immigrés, notamment à Santiago, la question mapuche devient aussi un fait populaire et une réelle prise de conscience de l’identité mapuche par les Chiliens eux-mêmes.
Enfin, l’analyse de la réalité paysanne laisse apercevoir, au travers de ses irréductibilités écartées ou ignorées par le sectarisme des idéologies classiques, des symptômes d’une réalité qui, sous couvert des structures formelles imposées par la colonisation, trahissent que le paysannat chilien est aussi d’origine indigène.
Il n’est pas possible ici de retracer, même brièvement, l’histoire des missions religieuses en territoire mapuche. Leur implantation est certainement importante. Il existe même des prêtres mapuche. Les évangélistes sont bien représentés et on assiste actuellement à un déferlement de missions d’églises messianiques nord-américaines. Officiellement, l’Église catholique parraine les Centres Culturels, mais l’unité d’action imposée par les Évangélistes oblige à une certaine objectivité – c’est ainsi que les invitations à la réunion d’information du 12 septembre 1978 sont adressées non seulement aux responsables chrétiens des communautés, mais à des responsables laïcs tels que les professeurs mapuche. À ces journées participeront des hommes comme Melillan Painemal (premier Président d’AD-MAPU) dont le “détour” par le front de classe marxiste a été très accusé puisque nombre d’entre eux furent à plusieurs reprises pressentis par les Partis marxistes pour les représenter dans les institutions chiliennes.
Dans le prologue du projet des statuts, l’influence des responsables chrétiens est encore manifeste « […] inspirés par la foi chrétienne et son évangile : aimez-vous les uns les autres et demandant à dieu qu’il nous aide et nous illumine… »
Mais en 1980, lorsque les statuts d’AD-MAPU sont déposés, le prologue a disparu et très vite AD-MAPU est perçu par les communautés mapuche comme la force politique de Melillan Painemal. Le principe des quotas financiers [33]permet à la nouvelle direction de transformer l’organisation des Centres Culturels en véritable parti de masse.
Pour les Mapuche, qui se reconnaissent Mapuche parce qu’ils vivent en communautés mapuche, le principe des quotas signifie que AD-MAPU devient le bras politique des communautés vis-à-vis du monde extérieur, mais que cette force est celle de ceux qui contrôlent leurs partisans par les statuts.
Les Mapuche ont une très longue et riche histoire du dialogue avec les institutions chiliennes.
Il n’est pas possible ici de retracer cette histoire.
Il semble que le moment récent le plus important auquel se réfère la société mapuche, soit celui de la Confédération Nationale des Associations Régionales Mapuche, elles-mêmes sortes de congrégations des communautés mapuche des Réductions. Mais, cette organisation territoriale n’avait été envisagée par le gouvernement de la Démocratie Chrétienne que pour promouvoir une structure de production agricole coopérative.
En 1971, ses principaux représentants rejoignent les rangs de la gauche chilienne et les leaders mapuche adhèrent au front de la lutte des classes, soit avec les syndicats, soit avec les partis politiques.
Le “détour historique” du “front de classe” permet aux responsables Mapuche de maîtriser les analyses marxistes et de connaître les ressorts de l’économie occidentale.
Il ne fait pas de doute que les Mapuche font aussi une expérience décisive des partis, des syndicats, des organisations économiques et politiques occidentaux. Mais ce serait présumer des faits de conclure que cette participation mapuche ait été une intégration aux structures chiliennes.
Cette participation paraît plutôt une alliance conjoncturelle. Les communautés mapuche ne sont pas engagées dans le débat politique chilien, elles sont un pouvoir autonome respectueux de l’État et ne s’allient aux institutions occidentales que pour en tirer bénéfice. On connaît des Mapuche de cette époque, inscrits indifféremment à quatre partis politiques contradictoires. En 1980, la nouveauté est que cette alliance n’est plus nécessaire car AD-MAPU devient le parti politique des Mapuche, une organisation de défense du pouvoir des communautés plus que le pouvoir des communautés elles-mêmes, car les caciques, les chef des grandes familles, ne participent pas à AD-MAPU. En effet, leur pouvoir est territorial et non pas idéologique, et s’il devait à nouveau s’exprimer ce serait sans doute au travers de la reconstitution de Conseils communautaires, de leur association régionale et de la confédération de ces associations.
« Nous devons garder à l’esprit la nécessité imprescriptible de la création d’un Conseil du Peuple Mapuche, c’est-à-dire d’une assemblée représentative mapuche avec des ramifications régionales et locales. Pour cela, on conseillera la convocation d’une assemblée constituante des Mapuche pour discuter et élaborer le projet du Conseil du Peuple Mapuche. Ce projet devra être approuvé par un Plébiscite Mapuche… » proposait déjà en 1971 le grand intellectuel chilien Alejandro Lipschütz [34].
AD-MAPU, l’expression politique du pouvoir mapuche vis-à-vis de la société chilienne, devient non seulement le porte-parole privilégié de l’Indianité Mapuche vis-à-vis du monde extérieur, mais également le centre de la conscience politique Indienne qui maîtrise à la fois le langage de l’une des deux sociétés présentes et le langage de l’autre. Aussi a-t-il conscience de l’impérieuse nécessité d’exprimer la volonté mapuche dans un discours qui puisse être compris de ses interlocuteurs : la nécessité d’une expression théorique spécifique.
« Prenant en compte que le peuplement existe […] nous déclarons : qu’il existe un vide de direction d’authentique représentativité pour guider, orienter, défendre, planifier le développement et la prospérité des Mapuche dans leurs plus diverses activités, tout en conservant tout ce qui signifie leur patrimoine culturel et social d’aborigène qui spécialement et en premier lieu est et sera la possession de la Terre et la vie en communauté [35]. »
Ce point de vue est bientôt suivi d’une analyse plus économique où les conditions de développement mapuche sont exprimées en termes de réciprocité et d’écologie.
« Une des constantes de l’histoire de l’humanité est l’étroite relation de l’homme et du milieu.Pour nous Mapuche, la nature est un ordre en constante évolution et l’homme est partie prenante de cette nature. La participation qui lui incombe est de maintenir son équilibre. Les transformations qui se sont produites pour notre peuple nous poussent de jour en jour à rechercher de nouvelles solutions à nos inquiétudes et à trouver l’équilibre nécessaire à notre survie. C’est pour cela que notre organisation dynamise l’unité, en renforçant, ranimant, orientant ou programmant les activités culturelles communautaires : mingako, ngillatun, palin, créant dans la mesure où les ressources le permettent des programmes de santé, d’éducation et d’économie ». […]« Chaque groupe ethnique possède ses idées sur le monde qui l’entoure […] nous avons, nous indigènes une vision particulière du milieu dans lequel nous vivons. La preuve en est que jusqu’à aujourd’hui différents groupes survivent en distinctes régions de la terre, avec leurs propres caractères culturels, en dépit de l’écrasant procès de colonisation et d’assimilation programmé par les sociétés dominantes […].Nos principes idéologiques ont pour fondement l’harmonie écologique […] et c’est sur la base de ce principe que nous voulons élaborer nos normes d’action qui aident à conserver notre mode de vie comme sociétés indigènes […]C’est comme être humain, comme être doué de raison que nous avons le droit de faire valoir nos principes, lesquels, cela est clair, sont différents de ceux des sociétés colonisatrices.Ce que nous voulons aujourd’hui, c’est être les sujets de notre propre destin, en évitant l’assimilation, mais en recherchant une intégration véritable, celle qui fasse valoir notre participation aux changements comme acteur ou agent du changement avec pour base notre patrimoine culturel. Ce patrimoine culturel a une relation avec la Terre qui est la base de notre organisation traditionnelle. C’est pour cela que notre lutte est ordonnée au maintien ou la récupération de notre souveraineté sur la terre, utilisant pour cela nos propres forces parmi lesquelles, sans aucun doute, l’organisation communautaire est notre principal pilier pour la revendication de nos droits. L’organisation est l’outil pour réussir les transformations que tout peuple réclame et dont le programme ne doit oublier aucune activité de l’être humain. L’expérience nous a démontré que toutes les organisations et institutions étrangères qui ont eu accès aux communautés indigènes, ont essayé de trouver des solutions aux problèmes de la réalité sociale de façon fragmentaire, c’est-à-dire avec des programmes spécifiques agricoles, éducatifs, sanitaires ou d’organisations de partis politiques, etc., qui imposaient des systèmes différents dans leur conception du monde, et avec des méthodes ou des techniques également différentes de notre approche culturelle [36]. »
Ce sont les Droits de l’homme qui permettraient à la communauté mapuche de participer à l’évolution de la société à part entière. Manifestement, le discours mapuche tente de trouver sa voie dans les systèmes philosophiques qui ont cours parmi les cercles d’appui, mais il affirme de plus en plus avec force le lien de l’organisation communautaire et de la spécificité ethnique ou indigène.
Enfin, la réciprocité est considérée comme le fondement de la structure économique et sociale et le principe d’organisation de la société elle-même :
« Mapuche, nous constituons un peuple avec une culture, avec une histoire propre, qui nous fait nous différencier du reste de la société chilienne, situé sous une systématique et permanente politique de domination appliquée tout au long de l’histoire de notre pays par les différents régimes, mais à laquelle notre peuple a su résister héroïquement, aujourd’hui toujours disposé à continuer la lutte pour ses légitimes aspirations de peuple ethnique […].Pour le peuple mapuche, comme pour la majorité des groupes ethniques, la terre est un bien d’usage, un bien social sur lequel est fondée, est structurée la base productive par les principes de coopération et réciprocité, déterminant la collaboration mutuelle et la participation des distincts groupes qui forment et déterminent la base sociale de notre existence en tant que groupe ethnique [37] ».
Ce texte, adressé au Général Président Augusto Pinochet en août 1982, sera complété par une offre d’alliance aux paysans et ouvriers du peuple chilien qui se présente comme un choix de société.
« Considérant que les droits du peuple mapuche sont continuellement sous-estimés par les autorités de la société dominante, que nos valeurs culturelles et notre droit à la possession digne de notre territoire sont méconnus, que la Constitution politique de l’État ne nous considère pas comme un peuple distinct de la Société globale, que l’on nous impose des modèles économiques étrangers à notre système de vie […]Nous nous prononçons : pour une nouvelle société juste et démocratique où notre peuple participera à égalité de droits avec les autres secteurs sociaux du pays.Nous croyons qu’une nouvelle démocratie sans la participation du peuple mapuche ne peut être démocratie.Nous sommes favorables au développement et au progrès de la société en participant à une union de fer entre paysans et ouvriers de notre patrie. Notre lieu historique est d’être unis à eux en participant activement au procès de transformation sociale, économique et politique de la société, par l’autonomie et l’auto-détermination de notre peuple quant au fait que nous devons être gestionnaires et protagonistes de notre propre procès de développement.Finalement et conjointement à ce qui précède, nous exigeons la participation à la rédaction d’une nouvelle Constitution politique qui protège et garantisse nos droits et notre patrimoine culturel en accord avec notre identité ethnique [38]. »
La solidarité et réciprocité entre les divers secteurs sociaux du pays selon la politique de réciprocité proposée comme base d’une alliance “de fer” entre indigènes paysans et ouvriers peut conduire à une nouvelle Constitution qui protège l’acquis d’un peuple et lui donne une base économique autonome et inattaquable dans l’avenir.
Les responsables Mapuche me paraissent avoir raison de dire qu’il faut donc reconstruire le Pouvoir et l’État sur de nouvelles structures économiques qui tiennent compte de leur point de vue, mais cela peut aller loin. Les Chiliens eux-mêmes peuvent repenser les structures de la terre pour d’autres objectifs que ceux de l’économie capitaliste.
Les Occidentaux ont certainement pris conscience que l’indépendance politique des pays du Tiers-Monde constituait une frontière dynamique et irréversible pour de nouveaux systèmes de valeurs et en conséquence procèdent souvent par liquidation de leurs avoirs coloniaux plutôt que d’imaginer leur reconversion.
On peut aussi constater que les théories monétaires de l’économie occidentale s’appuient aujourd’hui davantage sur la spéculation et les effets de la désorganisation de ce qu’il est convenu d’appeler les systèmes périphériques que sur l’investissement dans leur croissance économique.
Que les principales puissances du monde aient pour principales ressources les conflits qui paralysent l’organisation économique du Tiers-Monde ou, que de manière plus directe encore, leur politique supprime militairement la démocratie pour légaliser le hold-up international, nombre d’interventions occidentales ruinent les États du Tiers-Monde pour des décennies, de telle sorte que leur intégration à une économie occidentale en repli ne saurait être autre que misérable ou honteuse. Pourquoi ne pas prévoir le développement d’une économie alternative, pour le monde rural tout au moins, qui s’inspire des principes de l’économie politique indigène, de l’ethnogenèse et de l’ethnodéveloppement ?
On reproche à l’économie alternative, aux technologies douces ou appropriées, aux structures d’écodéveloppement, à la politique des frontières, au principe de la transcription de la valeur, et à celui de l’extension des relations de réciprocité, de promouvoir un développement limité et lent. Mais il pourrait avoir au contraire des conséquences rapides : une politique d’extension des relations de réciprocité qui ne serait pas seulement orientée sur l’autodéfense et le rejet mais sur la solidarité des communautés entre elles et qui aboutirait au contrôle immédiat de territorialités considérables, si considérables que les conditions du dialogue entre les nations seraient modifiées.
Pour citer ce texte :
Dominique Temple, "Ethnodéveloppement des Mapuche du Chili", Ethnodéveloppement des Mapuche (1983), 1983, http://dominique.temple.free.fr/spip.php, (consulté le 22 mai 2025).
[1] 3e Jornada de programa de apoyo campesino, Temuco 25-28 noviembre de 1982. “Por un camino campesino. Unamos nuestras fuerzas”. “Legislación sobre indígenas en Chile”. “Integración o asimilación”. Voir la contribution de Christian Vives, nov. 1982. (Traductions D. Temple)
[2] Dillehay, Tom D. (dir.) Estudios antropológicos sobre los Mapuches de Chile sur-central, Temuco, Pontificia Universidad Católica de Chile, 496 p., 1976, voir les contributions de Milan Stuchlik et Margaret B. Melville.
[3] Milan Stuchlik, ibid., p. 127.
[4] Une dyade (du grec duás “paire”) est un ensemble formé de deux éléments.
[5] Un troisième et non pas ici le Tiers qui s’écrit avec une majuscule lorsqu’il s’agit de la conscience commune engendrée entre les partenaires d’une dyade de réciprocité.
[6] Cf. Temple Dominique, La dialectique du don, Paris, Diffusion Inti, 72 rue du château-d’eau, 1983.
[7] Le mot Potlatch, emprunté au chinook, une langue d’Amérindiens, signifiait “action de donner”. Le mot a été introduit en anthropologie en 1924 par Mauss et Davy (cf. Essai sur le don, de Marcel Mauss).
[8] « Bien qu’une telle démonstration doive démontrer une confiance mutuelle, la quantité et la qualité des aliments se mesure avec exactitude par les deux participants pour garantir une réciprocité exacte et équilibrée lorsque l’invitation sera rendue. » Milan Stuchlik, op. cit., p. 129.
[9] L’équilibre initial entre l’amitié et l’inimitié des organisations sociales est relatif : si l’inimitié prévaut, se développe un système de réciprocité négative, c’est-à-dire de vengeance. Mais celui qui subit un meurtre est le premier à posséder une “conscience de conscience”, alors que dans la réciprocité positive c’est au contraire celui qui agit. Les deux systèmes de réciprocité négative et positive sont donc inverses l’un par rapport à l’autre.
[10] « Par un curieux équilibre, la loi de la société primitive est double et contradictoire. Elle excite à la guerre et incite à la paix. Le sang crie vengeance et en même temps recherche l’alliance. » Georges Davy (1922).
[11] Pascual Coña del Budi, Cacique Mapuche, cité par Milan Stuchlik, op. cit., p. 129
[12] Cf. Siegfried F. Nadel, The Theory of Social Structure (1957), in Stuchlik, op. cit., p. 132.
[13] Stuchlik, op. cit., p. 132.
[14] Cf. Fredrik Barth, Models of Social Organization London, Royal Anthropological Institute, 1966, in Stuchlik, p. 138.
[15] Stuchlik op. cit., p. 138.
[16] Triadisation qu’il vaudrait mieux appeler réciprocité ternaire : 3 partenaires étant suffisants pour illustrer une structure ouverte sur un nombre indéterminé de partenaires qui forment alors un cercle ou un réseau.
[17] En 1884, après l’étouffement du dernier grand soulèvement mapuche, la colonisation s’est concrétisée par l’application de la Loi indigène votée en 1866 : la totalité du territoire mapuche fut déclarée « propriété fiscale » dont des portions furent attribuées à des groupes individualisés en qualité de « réserves » : les autres terres furent ouvertes à la colonisation chiliennes. Les réserves étaient décernées par un « Titre de Grâce » (Título de Merced) établi au nom du chef d’un groupe d’indigènes, dans lequel figuraient, en plus des limites topographiques, les noms de tous les membres du groupe. Cf. Milan Stuchlik, “Sistema de terratenencia de los Mapuches contemporáneos”. Conferencia presentada en el XXXIX Congreso de Americanistas de Lima, 1970, p. 4.
[18] Ibid., p. 4.
[19] « Le Titre de Grâce garantissait le droit d’usage des terres délimitées en commun à tous les membres du groupe qui y étaient consignés, ceux que l’on définissait comme “fixés” (radicados), c’est-à-dire, établis sur une terre et autorisés à en exercer le droit héréditaire d’usage. » Ibid., p. 5.
[20] Ce phénomène est magistralement étudié par l’ethnographe d’origine tchèque Milan Stuchlik (1932-1980) auquel nous renvoyons : Life on a Half Share : Mechanisms of Social Recruitment Among the Mapuche of Southern Chile (1976), et dans “Sistema de terratenencia…, op. cit., pp. 5-10.
[21] Cf. José Bengoa y Eduardo Valenzuela, Economía mapuche. Pobreza y subsistencia en la sociedad mapuche contemporánea, editado por PAS (Programa de Acción Solidaria) Lyon, Santiago de Chile, 1965, pp. 124-128.
[22] Milan Stuchlik, Organización de la producción entre los Mapuches contemporáneos, formas de colaboración y relaciones económicas. Corporación de la Reforma Agraria. Temuco, marzo de 1971, p. 8.
[23] Ibid., p. 7.
[24] Ibid., pp. 9-10.
[25] “vuelta de mano” : “rendre la main”, l’entraide réciproque.
[26] Milan Stuchlik, “Sistema de terratenencia de los Mapuches contemporáneos”, op. cit., pp. 2-4.
[27] Cf. José Bengoa, Las economías campesinas Mapuches, serie documentos de trabajo n° 6, Grupo de investigaciones agrarias, Academia de Humanismo Cristiano, Casilla 6122, Correo 22, Santiago de Chile, octubre de 1981, pp. 5-7.
[28] José Bengoa, op. cit., p. 3.
[29] José Bengoa, La división de las tierras Mapuches, serie documentos de trabajo n°2, Grupo de investigaciones agrarias, Academia de Humanismo Cristiano, Casilla 6122, Correo 22, Santiago de Chile, julio de 1980. Lire aussi de Gonzalo Bulnes A., Los Mapuches y la Tierra, Pequeñas ediciones INC, Rotterdam, 1980.
[30] Le Conseil Œcuménique des Églises (COE, en anglais World Council of Churches) est une organisation non gouvernementale à intérêt social et à caractère confessionnel, fondée en 1948, qui siège à Genève. L’objectif du COE est l’harmonie entre les chrétiens au travers de réalisations concrètes communes. En 2018, le COE compte 350 membres de presque toutes les traditions chrétiennes. L’Église catholique n’est pas membre.
[31] Cf. José Bengoa, Trayectoria del campesinado chileno, Grupo de investigaciones agrarias, Academia de Humanismo Cristiano, Casilla 6122, Correo 22, Santiago de Chile, julio de 1982.
[32] Trad. : Centre Assesseur et Planificateur De Recherche et Développement.
[33] En 1980, les statuts déposés par Melillan Painemal prévoient une organisation territoriale de centres AD-MAPU locaux (Secteurs) dont tous les membres sont tenus à une cotisation (quota) de 1% du salaire minimum mensuel, dont 30% sont reversés à la Direction. Les délégués des Secteurs forment l’assemblée nationale qui élit chaque année la Direction.
[34] Alejandro Lipschütz, La comunidad indígena en América Latina y en Chile, Editorial Universitaria, Santiago, 1956.
[35] Declaración de principios del Centro Cultural Mapuche de Chile, 1982.
[36] AD-MAPU, Documentos sobre ideología, filosofía política de la indianidad, julio de 1982.
[37] Carta al Señor Presidente de la República, AD-MAPU, Santiago, 6 de agosto de 1982.
[38] Resoluciones de la IIIe Jornada Nacional de la Asociación general de pequeños agricultores y artesanos, AD-MAPU, Temuco, 27 de enero 1983.